Bornons-nous à prendre l’empreinte du paysage politique et regardons avec une gravité extrême ce que même le quotidien le Monde appelle «le virage sécuritaire de François Hollande». Le projet de révision de la Constitution, qui a reçu, avec des réserves, l’aval du Conseil d’État, doit être examiné en Conseil des ministres. La déchéance de la nationalité des binationaux n’y figurera pas, dont acte; c’eût été cheminer non plus sur les terres de la droite mais bien sur les fumiers empuantis de ses extrêmes. Reste néanmoins l’essentiel, qui, s’il était adopté, risque d’inoculer à notre démocratie un poison lent sinon mortel: la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Cette situation d’exception n’a strictement aucune pertinence dans la durée et témoignerait, au contraire, d’une dérive d’autant plus menaçante qu’elle viendrait buter sur l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen: «Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.» En effet, le «régime civil d’état de crise», dont parlait François Hollande devant le Congrès et qu’il veut nous imposer, signifie mécaniquement que le juge judiciaire, gardien des libertés individuelles, serait remplacé de fait par un régime administratif à la main du gouvernement…
L’affaire est donc sérieuse! Quand les perquisitions administratives –ce n’est qu’un exemple– s’affranchissent des procédures pénales, où est l’État de droit? Imaginez un tel ultrapouvoir entre certaines mains, et vous comprendrez aisément que l’engrenage est là, à nos portes. La volonté de réviser la Constitution pour y inscrire le principe d’état d’urgence permanent reviendrait à constitutionnaliser l’urgence et des lois d’exception comme règle ordinaire, comme la norme, sans jamais se doter des moyens d’y échapper. Une démocratie comme la nôtre doit-elle combattre ceux qui nient ses fondements en prenant le risque insensé d’y renoncer? S’opposer à cette logique mortifère n’est pas qu’un combat pour l’honneur. C’est l’honneur de tous les combats qui nous ont constitués. Vous connaissez la formule: après, il sera trop tard.
[EDITORIAL publié dans l’Humanité du 23 décembre 2015.]
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