Pureté. Vous souvenez-vous de Gattaca, le film d’anticipation d’Andrew Niccol, sorti en 1998 ? Un cauchemar futuriste y était dépeint avec une telle intelligence et une telle armature philosophique que la préfiguration du monde où l’eugénisme ne serait plus une tentation fantasmée dans la tête de quelques malades mais bien la norme est restée figée en nous aussi fortement que certains chefs-d’œuvre de la littérature. Chaque évocation à ce film nous émeut, en tant que genre supérieur. Chaque mémorisation de scènes – dans l’ambiance vintage et stylée d’une mise en abîme fabuleuse – nous renvoie à nos propres interrogations, comme une mise en alerte permanente, un maintien d’attention éthique. Dans cette histoire glaçante, le projet Gattaca tire son nom d’une combinaison de quatre lettres des nucléotides du code génétique : adénine, guanine, thymine, cytosine. Il consiste à « sélectionner » des individus parfaits par dépistage préimplantatoire, après fécondation artificielle. Le travail des généticiens férus de pureté. Le personnage principal du film, lui, provient, si l’on peut dire, d’une fécondation naturelle, donc d’un mélange de gènes aussi unique qu’incontrôlé. Il est un «dégénéré» et potentiellement «impropre à la vie» et à la «performance parfaite» en toutes choses.
À un moment, les parents du héros, tout de même un peu désorientés par ce profond toilettage de leur génome, se demandent s’ils ne pourraient pas laisser un peu de place au hasard. Un généticien leur répond : « Vous voulez donner à votre enfant le meilleur départ dans la vie. Et rappelez-vous que cet enfant, c’est toujours vous, simplement le meilleur de vous. » La tentation suprême, bien nichée en chacun d’entre nous, n’est-ce pas ? Ce récit sur grand écran date d’il y a seize ans. C’était de la stricte science-fiction.
Enfant. Que de la science-fiction? D’après le célèbre biologiste Jacques Testart, l’un des pères d’Amandine, le premier bébé-éprouvette français, cette fiction (la science se charge du reste) n’en serait plus vraiment une. Dans son dernier livre, "Faire des enfants demain" (Seuil), l’homme, qui se revendique profondément athée, s’inquiète, plus que jamais, des vieux démons eugénistes qui rôdent autour des berceaux. «La procréation, dont l’objectif est d’avoir des enfants, est devenue une pratique consumériste, explique-t-il. L’enfant est un produit auquel on a droit, bientôt, on voudra l’obtenir de qualité, et de façon manufacturée.» La biomédecine nous conduirait-elle mécaniquement vers l’uniformisation, tellement poussée aux extrêmes que nous pourrions «trier» en amont les individus en fonction de leurs caractères génétiques, mieux, mélanger des gênes pour aboutir à la «race supérieure», comme en rêvent tous les fascistes de la terre? En sommes-nous, presque, au marché du bébé à la carte, comme le propose, aux États-Unis, un programme de l’Illinois dont le nom laisse peu de place au doute: Creating Your Family. Moyennant un débit bancaire conséquent, très conséquent, parce que money is money, il est proposé aux clients sans scrupule des dons de sperme, d’ovocyte, d’embryon, le tout sélectionné comme il se doit par des généticiens qui s’occupent de choisir à votre place le bon embryon à partir de critères dits «scientifiques». Que dire d’un processus d’ultra-sélection qui n’est plus naturel mais culturel? Nous le voyons bien, la confusion est totale entre eugénisme et darwinisme, qui nous enseigne que la multitude est la condition même de la vie. Jacques Testart le dit clairement: «Si nous aboutissons à une restriction de diversité, nous irons vers un anéantissement de l’espèce.» Dit autrement: si les scientifiques prétendent remplacer l’humanité par une espèce prétendument supérieure, l’existence de l’humanité ira-t-elle encore de soi? Car de semblables hommes seraient-ils encore des humains?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 25 avril 2014.]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire