S’il faut parfois redonner du sacré au sacré, au moins au nom de la concorde républicaine, il existe, surtout en politique, des gestes et des paroles symboliques qui peuvent porter le meilleur comme le pire, à l’image de ces orages du soir qui réveillent les bontés de la nature mais éteignent les derniers feux du jour. Comment dire notre malaise – et plus encore – après la visite de François Hollande, hier, à Carmaux? Le président se rendait sur les terres du grand homme le jour même où son gouvernement entérinait, avec un cynisme confondant, un plan d’économies et de rigueur qui contredit tout esprit authentiquement de gauche. Hollande lui-même a sûrement mesuré l’écart entre ses pathétiques tentatives d’explications et la réalité vécue. Il a essuyé la colère. Il a été sifflé au pays de Jaurès. Comme si une justice immanente s’abattait sur ses frêles épaules à force d’avoir sacrifié le souffle de l’Histoire sur l’autel du traité Sarkozy-Merkel. Qui aurait cru cela possible il y a deux ans?
Il avait alors annoncé qu’il s’attaquerait à la finance et à Bruxelles. Ne restent que le souvenir et les ruines de sa politique libérale. Hier, une dame lui a crié: «Vous êtes venus ici il y a deux ans, et depuis vous ne tenez pas vos promesses. Jaurès ne parlait pas comme vous!» Et qu’a répondu le chef de l’État lors de son discours, à deux pas de la statue de Jaurès ? Ceci: «On m’avait dit: si vous voulez gagner l’élection présidentielle, vous devez venir à Carmaux. Je n’avais pas le choix.» Les mots ont fini par pénétrer notre cerveau ; puis notre plume est restée suspendue d’effroi. C’était donc ça? Gagner pour gagner. Qu’importe le reste.
Oui, hier, il y a eu comme de la profanation à voir le président récupérer Jaurès en pareil moment. La leçon de choses était là, sous nos yeux atterrés. En ces heures crépusculaires, où la solidarité de tous les progressistes devrait être le devoir le plus étroit afin d’entamer sans merci une bataille populaire d’ampleur, tous les chemins doivent être maintenant utilisés pour ranimer l’idée d’une gauche, une vraie gauche ferme sur ses principes jaurésiens, qui ne s’allonge pas aux pieds du capital ni n’oublie le peuple qui souffre.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 24 avril 2014.]
1 commentaire:
Comment dire mieux ce que nous ressentons. Merci pour ce texte.
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