Küng. Connaissez-vous Hans Küng? Agé de 86 ans, le théologien suisse est considéré par les progressistes chrétiens comme l’un des contestataires les plus importants depuis les années 1970, toujours en marge d’une Eglise dont il conteste la doctrine depuis qu’un certain Jean-Paul II a imposé une vision dogmatique de la doctrine de la foi, aidé, comme chacun le sait, par son successeur, Benoît XVI, redevenu Joseph Ratzinger. En 2012, Hans Küng avait ainsi publié un livre choc, «Peut-on encore sauver l’Eglise» (Seuil), dans lequel il dressait un bilan sans concession, quasi crépusculaire, d’une institution aux frontières desquelles il est pourtant resté attaché, mais à sa manière, avec une liberté de parole intacte et sans jamais rompre totalement. L’élection de François Ier, il y a bientôt un an, a-t-elle tout changé?
N’exagérons rien. Mais faut-il quand même que le climat se soit à ce point réchauffé à Rome pour que de nombreux théologiens, sur place, accueillent plutôt favorablement le dernier livre de Küng, «Jésus» (Seuil, 288 p), qui reprend en partie, en l’adaptant à notre temps, «Etre chrétien», un livre paru au début des années 1970, et qui, à l’époque, dans la foulée de Vatican II, avait été perçu comme un brulot par les rigoristes, comme un message d’espoir par les héritiers des théologiens de la libération dont il se revendiquait en partie. Hans Küng défendait alors une Eglise moderne et sociale, disons plus «terrestre» et «humaine» que «divinisée». Il fut, comme tant d’autres, mis à distance et souvent critiqué sans ménagement…
Jésus. Quarante
ans plus tard, avec son «Jésus»,
Hans Küng entend dire son attachement sans faille à la figure d’un christ plus
homme que fils de Dieu. Jadis, le sacrilège aurait été dénoncé en haut
lieu ; aujourd’hui, la posture même du nouveau pape, en tant qu’évêque de
Rome à la figure d’humilité et de simplicité, semble rendre ce postulat
philosophique sinon acceptable, du moins discutable. De quoi se dire qu’il n’y
a sans doute pas de hasard si Küng a décidé de publier ce livre, qui,
avouons-le, dans ses fondamentaux, n’a d’autre ambition que de secouer encore
une fois les chrétiens. Dans un chapitre intitulé «les normes de
l’humain», le théologien suisse pose ainsi une question
provocatrice:
«N’est-ce pas
le manque d’humanité qui fait que bien souvent le chrétien n’est pas pris au
sérieux?» Et il précise aussitôt sa pensée: «N’est-ce pas l’absence d’une
authentique et pleine qualité d’humanité chez les représentants et les
porte-parole officiels de l’Eglise qui explique qu’être chrétien soit dédaigné
ou rejeté en tant que possibilité authentiquement humaine?» Même
en 2014, la critique reste violente. Car il insiste: «Aujourd’hui, plus que jamais, la dimension humaine doit être
considérée dans son évolution sociale.» Certains se demanderont,
légitimement bien sûr, pourquoi le vieil homme a choisi le moment présent pour
réenfourcher ses combats de toujours? L’explication qui consiste à
affirmer que l’Eglise doit retrouver sa vocation «sociale»,
ici-et-maintenant, suffit-elle? Personne ne comprendrait pourquoi Küng
déclare que l’Eglise reste «sa patrie spirituelle (…) malgré les
nombreuses expériences du système romain». Küng veut aussi signifier –
nous serions mal placés pour le nier – que ses critiques des dogmatismes de
Jean-Paul II et de Benoît XVI, qui lui valurent d’être interdit d’enseignement
en faculté de théologie, étaient pertinentes il y a vingt, trente ans, et
qu’elles le demeurent de nos jours. Mais surtout, et c’est peut-être
l’essentiel, le Suisse apporte un contre-manuel de ce-qu’il-faut-penser de
Jésus, après les trois livres sur le sujet de son ennemi intime et ancien
collègue à Tübingen, Joseph Ratzinger. Dans la préface de son «Jésus», Küng ne cache pas ses
différences de vues avec l’ex-pape, qui, selon lui, s’éloigne volontairement du
témoignage des Ecritures en négligeant «tous
les résultats gênants pour la dogmatique catholique (…) en la contournant
habilement avec des citations des Pères de l’Eglise et de la liturgie». Küng
écrit même textuellement: «Celui
qui cherche dans le Nouveau Testament le Christ dogmatique, qu’il lise
Ratzinger ; celui qui cherche le Jésus historique et la proclamation des
premiers chrétiens, qu’il lise Küng. C’est ce Jésus-là, le Jésus historique,
qui interpelle les hommes d’aujourd’hui comme ceux de son temps, qui exige
qu’on prenne position» (p. 11). L’histoire retiendra que l’ex-Benoît XVI,
il y a quinze jours, a écrit une lettre à Hans Küng en personne pour lui dire
qu’il lui reconnaissait une «grande
identité de vues» avec le nouveau pape François Ier. Enfin de la
lucidité.
Hans Küng. |
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 février 2014.]
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