samedi 19 mai 2012

Normalité(s): il ne fallait pas sous-estimer François Hollande

Ceux qui ont pris à la légère la volonté et le talent du nouveau président doivent se rendre à l’évidence. Au passage, petit mea-culpa du bloc-noteur...
Intronisation. «François Hollande: président de la République.» Une phrase, qui n’a rien d’interrogative, claque désormais dans le paysage, elle a valeur d’information pour l’Histoire. L’homme, intronisé, a donc arpenté le tapis rouge avant de s’installer sous les ors de cette monarchie élective qui n’en finit pas d’user la République. Il avait endossé les habits; il habite depuis la fonction. «François Hollande: président.» Non, personne ne rêve. La gauche. Une certaine gauche. La gauche de nouveau. Certains se rendent à l’émotion durable, aux grandes heures du passé, à 1936, à 1981, à 1997, ou mieux encore, à l’illusion lyrique d’une nouvelle gouvernance, voire d’un New Deal à la française. N’est pas Roosevelt qui veut. D’autres, plus modestes en diable et calculateurs, chantent déjà la crise sur tous les tons, le «sérieux» en bandoulière et l’«adaptation» pour toute volonté. Et le grand héritage? Pour plus tard. Peut-être. Si l’on peut. Comme l’écrit une amie écrivain et poète: «Le vent, libéré de ses pères, retombe en cendres froides jusqu’à s’abasourdir de silence.»

Solitaire. Puisque partout des mots pullulent ça et là dans l’art français d’«être» en politique, fonctionnant comme autant de graphies pour narrer les destins si peu ordinaires, voici que, à la lecture de ces simples mots, «François Hollande: président de la République», beaucoup semblent étonnés pour ne pas dire plus, éberlués, sidérés par cette réalité-là. Ils sont nombreux à se prendre pour des aigles, mais rien dans leur pelote, pas la moindre trace ou résidu d’Histoire. Ceux qui, par volonté (coupable) ou méconnaissance (impardonnable), ont sous-estimé François Hollande doivent se rendre à l’évidence: par l’exigence modeste d’une élection sans lueur ni franc espoir, l’ex-numéro un du parti socialiste a réussi ce que peu imaginaient possible, maîtriser les épreuves, manoeuvrer avec assez d’intelligence face à la situation du pays et de ses attentes, pour imposer sa philosophie empruntée à Aimé Césaire, «l’espérance lucide». Au fond, cet énarque et ancien magistrat à la Cour des comptes, qui a bâti toute sa carrière au PS sans jamais se voir proposer le moindre ministère, a caressé le rêve d’une victoire en solitaire – ce qu’il a parfaitement embrassée.
Que cela plaise ou non, c’est en quittant la tête du parti qu’il a gagné en crédibilité dans la durée. «Je me suis trouvé seul, face à moi-même, j’étais libéré de toute tutelle, à ne servir plus personne, au sens privé également», répétait-il souvent pour expliquer pourquoi il avait rendu les clefs du PS, alors que l’ambition de «ne pas laisser passer son tour» sautait aux yeux de tous ses visiteurs. Qu’on ne se méprenne pas, le «président normal» des premières heures de sa candidature n’était pas seulement une critique du «bling-bling» et du «Fouquet’s» présidentiel, mais bel et bien une attaque à peine voilée envers Dominique Strauss-Kahn, que François Hollande considérait comme un «candidat hors-sol», acteur et symbole d’un système mondialisé et en crise, ce qui, tôt ou tard, rejaillirait sur le patron du FMI. Pour Hollande, battre DSK aux primaires était d’ailleurs une évidence. Les rivaux trop sûrs d’eux ont longtemps négligé le sens stratégique de ce socialiste de raison, pragmatique, fruit d’une synthèse entre les différents courants socialistes, intimement convaincu que pour transformer la société il lui faudra d’abord changer la pratique du pouvoir, le partager avec le parlement, les syndicats, les corps intermédiaires, les territoires, les citoyens, pour, dit-il, «être proche de mes concitoyens, retrouver de l’harmonie et de l’apaisement» au «service d’une grande cause»: «lutter contre le fatalisme qui conduit soit à la colère, soit à la résignation». Plus un autre style qu’un véritable projet d’ensemble? Ne négligeons pas, néanmoins, ce qui pourraient devenir des qualités, évidentes à qui l’a connu quand il trônait rue de Solférino.

Mea-culpa. Il n’y avait pas grand monde autour de François Hollande, à l’été 2009, lorsqu’il décida de se lancer dans la course à l’Elysée. Au fil de cette chronique, quelques lecteurs ont pu s’agacer d’un constat à l’endroit du candidat socialiste qu’ils jugeaient comme un choix partisan: négligeant le «désir Hollande» à l’aune de l’ampleur du rejet de Nicoléon, nous avons, en effet, privilégié la critique du « projet à gauche » que présentait le vainqueur des primaires. Autant le bloc-noteur pense avoir eu raison de pronostiquer qu’il n’y aurait pas de victoire par «KO», autant il regrette d’avoir écrit ceci, en octobre dernier, à propos de Hollande: «Une strauss-kahnisation peut très vite se terminer en balladurisation.» Mea-culpa sincère. Qu’il convient de nuancer. Si la menace était alors réelle, elle ne s’est pas confirmée. Ne nous plaignons pas d’avoir eu tort.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 18 mai 2012.]

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