jeudi 17 juin 2021

Mécomptes(s)

«Et on vote pour quoi, déjà?»

Nationalisation. «Ah bon, on vote dimanche?» Combien de fois avez-vous entendu cette phrase, ces derniers jours? Ou encore celle-ci: «Et on vote pour quoi, déjà?» Drôle de climat médiatico-politique, n’est-ce pas, à l’heure où un scrutin important risque de fixer le paysage national, à bien des égards, pour une période indéterminée. Entre vol de nuit et feux déboucheurs d’horizon, nous ne savons plus trop où se dispute et où se jouera cette imparfaite recomposition politique aux contours potentiellement dramatiques. En l’espèce, le «quoique» est toujours un «parce que». Pas de bonne catharsis sans montée préparatoire aux grandes peurs, sans lesquelles, par habitude désormais, les combats en espérance s’atrophient quelque peu. Mettons-nous d’accord sur un point : tout a été conçu pour que les élections régionales et départementales soient profondément détournées de leur finalité. Il s’agit moins d’élire des majorités dans nos collectivités que de décanter l’espace avant le rendez-vous de la présidentielle de 2022. Entendez-vous parler, sur toutes les chaînes, des transports, des aides aux entreprises et des aides sociales, de la formation professionnelle, etc.? Pas vraiment en réalité. Comme si de rien n’était, en mode obsessionnel, le matraquage se poursuit sur le thème de l’insécurité, compétence régalienne. Autre évidence: la «nationalisation» des deux tours, les 20 et 27 juin, se transforme donc en épreuve de vérité pour le parti de Mac Macron. Nous sommes loin de 2017, quand le futur prince-président misait sur l’épuisement du «vieux monde» et le dépassement du clivage gauche-droite au profit d’un nouveau regroupement dit «progressiste», dont nous avons vu à quel point le centre de gravité basculait à droite.

Norme. Face à ce constat primaire et devant le péril brun, la gauche est-elle vraiment en pleine confusion, tout en s’y complaisant? Tout irait donc de mal en pis? Et personne n’oserait balayer devant sa porte, tous prisonniers de «calculs électoraux»? En somme, le big-bang de 2017 et ses répliques – inachevées – n’auraient servi à rien ? Réfléchissons à l’interpellation de l’historien Alain Bergounioux, dans la revue l’Ours, qui met sur le compte de l’affaiblissement des partis politiques l’impasse programmatique actuelle d’une certaine gauche. Comme il l’affirme: «L’époque est à la confrontation de ­personnalités… sur les enjeux du moment, sélectionnés par les médias. Pire même, la politisation se fait, souvent, de manière négative, la dénonciation des autres candidats devenant la norme.» Regardons avec sérieux la compétition de plus en plus étonnante entre Verts et socialistes, qui prétendent les uns et les autres au leadership du camp soi-disant «réformiste», mais butant, comme le souligne le Monde, «sur un rapport au progrès et sur une conception de la République si flottants qu’à ce stade aucune vision commune n’a pu émerger».

Malaise. Régénérer et refonder la gauche, redresser et rebâtir le pays, restaurer l’espoir, repartir de plus belle, etc. Voilà le re éternel de Sisyphe, que le bloc-noteur s’imagine heureux. Nul besoin d’avoir un grand sens de l’État ni un sens excessif de votre dignité pour ne pas voir le malaise ambiant. Là où nous sommes rendus, ne sous-estimons pas la difficulté de braver l’opinion dans une démocratie d’opinion aussi fastidieuse qu’un racolage de chaque jour, à longueur d’antenne, partout, toujours… N’éludons pas les mécomptes. Et rappelons-nous un précepte éloquent: la pire faute en politique consiste à laisser en état ce qui doit disparaître alors même qu’on s’attache à détruire ce dont la permanence est la raison d’être et la marque d’une civilisation républicaine…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 18 juin 2021.]

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