jeudi 19 septembre 2019

Rêverie(s)

L’après-Fête, moment particulier…

Rassembleurs. «Ouah!!! C’est donc ça, la Fête de l’Huma…» Quelque chose du bonheur, dans la bouche de ce jeune homme touchant à sa majorité, qui n’en finissait plus, au crépuscule de la quatre-vingt-quatrième édition, de décrire sa première participation, de stand en stand, de débats en concerts, un parmi la foule innombrable, dont les yeux régalaient autant de fatigue que d’extase. Comme le relatait cette semaine dans nos colonnes l’écrivain Hervé Le Corre: «Voilà, la Fête de l’Huma, c’est tout ça. Même si l’Humanité n’est pas à la fête tous les jours.» Pour nous tous, chaque année recommencée, le même dilemme. Comment «gérer», sinon «digérer» l’après-Fête? Moment particulier, n’est-ce pas? Quand «le tout» retombe brutalement et que l’acte concret, dans sa complétude assouvie, se transforme en rêveries inachevées – comme si nous étions tous dépositaires d’une gigantesque chaîne de mains liées les unes aux autres, ragaillardis que nous sommes par cette envie de frapper un grand coup dans la fourmilière de la matière politique (par ce qu’elle possède de plus noble) afin de nous élever collectivement plus haut que nous-mêmes. Par la Fête, notre meilleure alliée, nous cherchions trois choses élémentaires : de la mémoire vigilante ; du partage ; et des mots pour exprimer l’à-venir. Sur tous les sujets, le Peuple de la Fête – moins embryonnaire qu’on ne le pense – aspire à un projet neuf et à un pacte commun, sans lesquels aucune dynamique populaire claire et ferme sur ses intentions ne verra vraiment le jour et ruinera tous les espoirs dans la dispersion et la division. Comment le résumer d’une formule simplifiée ? Disons que nous inventons le «quoi», avant d’imaginer le «qui», bien que les deux soient intimement imbriqués. Le «quoi» d’une société différente; le et les «qui» rassembleurs.


Forts. Si l’Humanité reste et restera de manière avérée et reconnue ce bien précieux qui nous dépasse tous, la Fête de l’Humanité, elle, demeure ce tertre du «nulle part ailleurs où il faut être» que nous aimerions prolonger toute l’année. Une sorte de don, trop éphémère. Près de 500 000 personnes durant trois jours. Se rend-on compte de ce que cela signifie? Comprend-on à quel point cela nous engage, tous? Et pourquoi nous devons nous en montrer dignes et ne pas «lâcher» l’affaire? Déjà presque une semaine d’écoulée et rien ne se dissipe. Au contraire, le retour à l’existence «normale» prend plus de sens, de relief. La Fête, c’est tout le contraire de la lucarne télévisuelle des dominants médiatiques: à La Courneuve, notre temps de cerveaux disponibles fut accaparé pour les remplir, bien les remplir, de conscience politique, de débats, de culture, de musique, de joie et d’emportements dispensés à la hauteur de nos colères. Comme vous tous, le bloc-noteur le sait: le succès de la Fête gêne ceux qui nous veulent du mal, ceux qui nous ignorent ou nous snobent, ceux qui n’entrevoient même plus l’importance de ce rendez-vous hors normes. Oublions-les. Affrontons-les si nécessaire. Mais n’oublions jamais cette vérité: nous sommes forts, et fiers d’être forts après cette Fête tonitruante. Alors soyons forts jusqu’au bout. Ne baissons pas la tête et assumons-le!

Patrimoine. Le Peuple de la Fête porte une Idée à préserver comme un bien rare, donc précieux. L’Humanité n’est pas qu’un supplément d’âme, mais bien l’âme vivante qui peut la porter. À quoi s’ajoute un combat consubstantiel devenu essentiel: ne laissons pas dépérir – et encore moins mourir – le journal de Jaurès. Nous avons souvent entendu parler du «patrimoine national» durant trois jours. Et à la Fête, plus qu’ailleurs sans doute, ce «patrimoine national» ne résonnait jamais sous un mode nostalgique ni muséographique. «L’Humanité doit vivre parce que ce journal est vivant, pleinement vivant», nous disait Marc Lavoine. «Que deviendrions-nous sans l’Huma?» se demandait, sans rire, François Morel. «La France de demain serait orpheline et aveuglée», répondait Ernest Pignon-Ernest.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 20 septembre 2019.]

Aucun commentaire: