Journalistes. À l’heure où le «monde médiatique» – l’expression s’avère un peu sommaire, mais passons – est dénoncé, vilipendé, accusé de tous les maux en place publique, voilà donc qu’une affaire de cyber-harcèlement exhumée par la plateforme CheckNews de Libération provoque une polémique d’une ampleur telle qu’elle pourrait déclencher une remise en question profonde et collective sur le sexisme et l’entre-soi qui gangrènent la profession: celle des journalistes. Ne nous voilons pas la face. Si le bloc-noteur était totalement ignorant de semblables faits et mots, il lui arrive, souvent, d’être assez peu fier d’arborer cette carte de presse dont se revendiquent tant d’énergumènes infréquentables. C’est la loi du genre. On choisit parfois son métier, pas ceux qui y pullulent. Ainsi, une trentaine de membres d’un groupe Facebook – la Ligue du LOL – sont accusés de s’être livrés à du cyber-harcèlement depuis 2009, en particulier sur Twitter. Parmi eux, de nombreux journalistes. Depuis les révélations de CheckNews, Libération, l’hebdo les Inrocks et le studio de podcasts Nouvelles Écoutes ont pris des mesures contre leurs employés mis en cause dans cette affaire sordide. Le traitement infligé à plusieurs jeunes femmes ou jeunes hommes par certains membres de ce groupe informel nous donne la nausée. Harcèlement, insultes, canulars graveleux, sexisme, machisme, homophobie et propos racistes… Bref, tout le panel d’agressions numériques imaginables a été utilisé. Vincent Glad, journaliste pigiste pour Libération et Brain Magazine, à l’origine de ce groupuscule glauque sur Facebook, a évidemment présenté ses excuses: «En créant ce groupe, j’ai créé un monstre qui m’a totalement échappé.» David Doucet, rédacteur en chef Web aux Inrocks, s’est dit «désolé», ajoutant: «Cette libération de la parole m’a surtout fait prendre conscience que je comptais parmi les bourreaux.» Quant à Alexandre Hervaud, journaliste à Libération, il a expliqué que certains des témoignages apparus, depuis, lui avaient «littéralement tordu le bide». Un peu tard, n’est-ce pas, pour la contrition par «le bide» lorsqu’il s’agissait de frapper des âmes, des esprits et des psychologies de femmes et d’hommes qui n’avaient rien demandé, sauf à faire valoir leurs différences et surtout ce qu’ils n’étaient pas: «de la bande»? Autant le dire, cette histoire n’est pas seulement «honteuse», comme nous avons pu le lire ici et là, elle témoigne d’un état d’esprit pourri qui en dit long sur ces petits «Tintin au Congo» se croyant tout permis, de la condescende au mépris, en passant par l’insulte gratuite et l’ignominie passible de la loi!
Inconséquents. Cette Ligue du LOL, désormais démasquée et dénoncée, est un symptôme inquiétant. Car le caractère public des réseaux sociaux signifie que, de facto, toute la profession est concernée, sinon éclaboussée. Cette «culture» du clash, de l’invective, de l’insulte permanente, de la cruauté, du harcèlement machiste ou raciste, voire pire, nous concerne tous. Elle pose d’ailleurs une question: pour qui les journalistes se prennent-ils? Si nous avons notre quota de pleutres, notre responsabilité de «transmetteur» nous oblige. Comment ne pas être atterré en lisant l’argumentation de Vincent Glad: «Je voyais cet espace comme un grand bac à sable, une grande cour de récré où rien n’avait de conséquence.» Un bac à sable? Une cour de récré? Allons donc… Il suffit de prêter l’oreille plus de deux secondes à la parole d’un enfant malmené, harcelé, rejeté, moqué dans la cour et à l’école pour mesurer les conséquences du harcèlement. Au-delà du fait que le monde de l’enfance ne ressemble pas trop à des procédés de hipsters, la référence à la cour de récré est un strict scandale. Qui sont ces hommes pour parler ainsi, si immatures et inconséquents? Ignoble: cela signifierait que harceler serait dans la nature humaine, que dire du mal des gens gratuitement, les maltraiter et les insulter n’aurait pas plus de conséquences que dans une cour d’école? On croit rêver! Et après tout cela, de bonnes âmes s’étonneront encore des raisons pour lesquelles nous assistons au divorce (déjà bien) consommé entre le monde des médias et ce qu’ils appellent, sur les mêmes sites, le «bas peuple»…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 février 2019.]
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire