Socle. Toujours, les puissants s’exonèrent au nom du bien public de la violence qu’ils exercent. Entendons-nous bien sur le sens du mot «violence», que nous utilisons là par commodité d’usage: en l’espèce, nous pourrions parler de «domination». Encore que. Car naturellement ces derniers accréditent cette «violence» comme la garantie même de ce bien public, alors qu’elle n’est rien d’autre que la garantie de leur pouvoir. L’argument de base est simple: obligation d’assurer la protection des personnes et des propriétés, autrement dit, leur sécurité. Respectée au pied de la lettre, cette apparence paraît assez conforme à la morale républicaine et, mieux, conforme au sacro-saint «ordre social». Seulement voilà, par glissements successifs –pas seulement sémantique–, deux cas de figure peuvent occasionner des dérapages et des dérives plus ou moins sournoises. Primo: la vraie nature de ces puissants se révèle lorsqu’un excès, quelle que soit sa forme, devient «violence» latente, qui ne simule d’être un service public ou d’intérêt général que pour asservir les citoyens. Secundo: quand cette «protection» ne concerne plus seulement son objet initial mais bien également la préservation, coûte que coûte, du système en place, fût-il ordo-libéral.
Ainsi, le champ de la «violence» d’État ou du patronat (pour ne prendre que ces deux cas emblématiques) s’avère d’autant plus difficile à définir que le corps social s’effrite. Comprenez bien. La «violence» policière courante se déroule la plupart du temps sur la voie publique, lors des manifestations depuis trois mois, par exemple, alors que la «violence» économique ne brutalise que la vie privée – bien que ses conséquences démembrent allègrement le tissu social. Voilà ce à quoi nous habitue le discours médiacratique habituel: tant que nous ne recevons pas personnellement des coups de matraque, on nous somme de croire qu’ils sont exclusivement réservés à qui les mérite, alors que les licenciements massifs et le chômage, liés à «la Crise», «la Crise» et encore «la Crise», sont ressentis comme personnellement immérités. Ces deux «violences» constituent le socle essentiel des dominations courantes, disons les plus visibles. Auxquelles il convient d’ajouter celle qui les accompagne à tout bout de champ: le matraquage idéologique, censément capable d’expliquer sinon de justifier ces «violences», jusqu’à les rendre «valides» aux yeux du plus grand nombre.
Révolution. Le paradoxe est le suivant: face à ces «violences», qui, ne l’oublions jamais, peuvent aussi prendre la forme de «simples» contre-réformes qui détruisent le pays et son à-venir, il est désormais inacceptable, impensable, non tolérable, que puisse s’exprimer une sorte de «violence» en réaction, même si elle prend le chemin de grèves, de blocages, de manifestations et de mobilisations de toutes sortes, caractérisés quelquefois par une rage et une colère légitime. Nous voyons d’ailleurs quotidiennement que le mot «violence» (associé à «prise d’otages»!) devient alors un fourre-tout bien commode, caractérisant les salariés en lutte, la CGT, la classe ouvrière en général et même les «casseurs», chacun étant classé indifféremment et sans distinction aucune. Procédé odieux? Deux poids, deux mesures? Et pour cause… Puisqu’il ne saurait y avoir un autre monde et un mode d’organisation économique et sociale différent, pourquoi devrions-nous accepter une réplique jugée elle-même, et en soi, «violente»? Soyons clairs. Ce qui est jugé comme une «violence sociale» porte en elle du prérévolutionnaire. Or voilà bien la grande peur des puissants. Pourtant, ces derniers sont toujours prêts à user de tous les moyens «violents» pour empêcher tout processus alternatif de type citoyen, quand bien même ceux que la révolution tenterait encore redoutent qu’elle doive en passer précisément par la «violence»…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 juin 2016.]
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