Parfois les grands maux suscitent de grands mots. Il aura fallu de nombreux morts, le traumatisme d’une France noyée de chagrin et de sidération dans des mares de sang, puis des millions de personnes dans les rues exprimant la passion collective de valeurs durement attaquées, pour qu’un premier ministre parle des inégalités qui minent le pays dans lequel nous tentons de préserver un vivre-ensemble. De toute évidence, Manuel Valls a voulu surjouer, hier, lors de ses vœux à la presse, un élan de sincérité en reconnaissant l’existence de ce qu’il appelle un «apartheid territorial, social», promettant un combat «contre les inégalités» visant à refonder la «citoyenneté», un mot qu’il préfère à «l’intégration». Le constat, quoique tardif pour l’ancien maire d’Évry, mérite notre attention. À un détail près. Le chef du gouvernement évoque également un «apartheid ethnique». Vous avez bien lu: apartheid ethnique.
Que Monsieur Valls le sache une bonne fois pour toutes: il n’utilise pas l’expression appropriée, sauf à vouloir ramener des individus à leur appartenance, à leur couleur de peau, voire à leur religion.
S'il cherche à dénoncer les processus à l’œuvre depuis tant d’années, qui conduisent à l’atomisation de certains quartiers qu’il nomme lui-même «ghettos», il ferait mieux de dire la stricte vérité. Et cette vérité est simple: le problème majeur des quartiers populaires n’est pas l’islam mais l’épouvantable crise sociale, qui laisse sans emploi plus de 40% des 18-30 ans, sans parler des conditions d’existence, réduites à pas grand-chose, avec des services publics en perdition. En laissant des populations entières assignées à résidence, l’État ne remplit plus son mandat d’égalité. Combien de fois faudra-t-il écrire ce déterminisme-là pour qu’il pénètre les esprits et les cœurs? On dit souvent que les quartiers s’éloignent de la République, n’est-ce pas plutôt la République qui s’éloigne des quartiers? Il y a loin des mots aux actes. Car pendant ce temps-là, malgré l’urgence de populations en danger, Manuel Valls poursuit la même politique antisociale et austéritaire. Une forme de non-assistance. En tous les cas, une belle hypocrisie. Une de plus.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 21 janvier 2015.]
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