Inégalités. À
l’heure des principes de précaution valorisés et appliqués soi-disant à tous
les domaines de l’existence, jusques et y compris dans la Constitution, jamais
la République, dans l’exercice de sa puissance contemporaine, n’a autant
délaissé ses enfants les plus démunis. Rendre la dignité aux plus faibles ne
semble plus être une mission à laquelle s’assignaient, jadis, les représentants
missionnés d’un État qui apparaissait d’autant plus protecteur qu’il imposait,
au moins dans ses principes et sa volonté, l’horizon d’un pacte social partagé.
Qu’est devenue l’égalité de nos frontons? Et l’école, «gratuite,
laïque et obligatoire», qui a donné à tous les citoyens la possibilité d’être
traités à parité, comme des semblables, indépendamment de leur origine sociale ou géographique. Ce fut
l’honneur de la République de rompre avec les facteurs de différenciation
fondés dans la nature, les traditions ou les hiérarchies. L’égalité des
citoyens devant la loi n’est pas un vain mot. Alors que dire des inégalités
imposées dans les quartiers populaires? Il y a dix
ans, le regretté sociologue Robert Castel évoquait déjà «la discrimination
négative» dont sont victimes les jeunes héritiers de l’immigration, assignés à
résidence. Nous n’avons pas fini d’en parler.
Principes. Dans
les moments de trouble, écoutons et lisons ceux qui pensent «l’événement»
autrement, avec recul et discernement. Dans la dernière livraison de la revue
Médium qu’il dirige (numéro 42), Régis Debray rappelle dans sa chronique intitulée "Pense-bête": «Ne jamais réduire un individu à son appartenance, ne jamais
l’enfermer dans sa famille, sa tribu, sa couleur de peau. Interdit pour la
carte d’identité de mentionner la religion. La loi est la même pour tous,
croyants ou non-croyants, et il
n’est de responsabilité qu’individuelle – comme l’indique justement notre droit
civil et pénal. Seuls des légumes s’expliquent par leurs racines.» Texte écrit
il y a quelques semaines, mais qui devient, par la force de l’actualité, une
réponse tranchée à «l’apartheid
ethnique» avancé cette semaine par Manuel Valls. Faute impardonnable, n’est-ce
pas, pour un premier ministre, dont on se demande encore s’il a préservé
quelque chose sur sa «gauche», que de ramener des populations entières à leur
appartenance, à leur couleur de
peau et, bien sûr, car il ne s’agit pas seulement d’un point aveugle, à leur
religion. Pendant ce temps-là, dans le Figaro, Dominique de Villepin livrait un
long entretien vérité que nous vous conseillons vivement. L’ex-premier ministre
et ex-ministre des Affaires étrangères explique: «Il y a
aujourd’hui en France une tentation moraliste, militariste, occidentaliste qui
ressemble à ce que fut le néoconservatisme aux États-Unis. Or, il n’y a pas une
réponse, il y a des réponses.» Se
reconnaîtront ceux qui le voudront, mais ils ne viennent évidemment pas tous de
la droite classique. Il se pourrait même que quelques spécimens se tiennent à
la table du Conseil des ministres de Normal Ier… Villepin poursuit en ces
termes: «Deux piliers sont indispensables à l’intégration. La laïcité, qui doit
être expliquée et mise en œuvre non pas de façon combattante mais comme un
outil de liberté. La mixité ensuite, sociale mais aussi à l’échelle des
territoires. (…) Il faut que le sursaut du 11 janvier se traduise en actes politiques,
individuels, associatifs. C’est ce qui distingue les régimes autoritaires,
fanatiques et la démocratie. La guerre, n’importe quel État peut la faire. Nos
vraies armes, ce sont nos principes, à condition de les appliquer et d’inventer un autre chemin que
celui de l’affrontement.» Exigence de la réalité, venant de l’auteur d’un
discours resté célèbre aux Nations unies. Pour un peu, le bloc-noteur se
laisserait emporter et citerait Gramsci: «Pessimisme
de l’intelligence, optimisme de
la volonté.» Il y a des moments dans la vie où nous nous grandissons à espérer
que rien ne se perde.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 23 janvier 2015.]
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