samedi 30 juin 2012

Et c'est reparti pour un Tour...

La 99e édition du Tour de France s’élance demain depuis Liège. Comme une mauvaise habitude, on parle déjà plus des affaires que de la course. Europcar dans le viseur?

Depuis Liège (Belgique).
Parce que le Tour reste ce lieu étrange où rien ne se juge vraiment à l’aune des palmarès, le corps, le cœur, la pensée, les exploits, les émotions fluctuantes, les vivas du peuple et même la plume du chronicœur y sont convoqués rituellement pour que l’altérité y trouve son compte. Pas encore élancée, l’édition 2012, 99e du genre, a déjà rempli son office. Mais, croyez-nous, pas de quoi, pour l’instant, enrichir le grand livre des Illustres. À l’heure où nous devrions concentrer toute notre attention sur les prochains chronos, les rendez-vous décisifs des étapes de montagne à venir et les quelques favoris encore debout avant de s’élancer pour trois semaines de train fou, nous revoilà plongés dans le creuset des affaires en tout genre.
Tellement que, depuis de nombreuses heures, les habitants de la Cité ardente de Liège, agglutinés devant les hôtels des coureurs et prêts à tous les sacrifices corporels pour les apercevoir ou les toucher, hésitent entre la nécessaire prise de recul face aux événements inhérents au cyclisme et la franche dévotion qu’ils ont, heureusement, du mal à contenir. En ces contrées enivrées par la passion, aimer le vélo est un pléonasme. Une qualité supérieure que tout homme de raison devrait envier. N’est-ce pas? Mais le climat s’avère lourd, pesant. Et nous ne parlons pas là de la densité des rayons du soleil qui viendrait à flancher sur les Ardennes belges… «À chaque début de Tour, son affaire, ça devient lassant», commentait, un rien ironique, le vieil Eddy Merckx, qui compte bien sur ce «grand départ» pour profiter de sa popularité inégalée dans le royaume. Mais pour une fois, les foudres de la suspicion viennent de s’abattre sur une équipe française : celle de Jean-René Bernaudeau.

Depuis jeudi soir, nous savons en effet qu’une enquête préliminaire avait été ouverte par le pôle santé du parquet de Paris, en août 2011 (!), concernant de possibles pratiques illicites au sein de la formation Europcar, celle de Thomas Voeckler et de Pierre Rolland, grands acteurs de juillet, l’an dernier. Des «informations» seraient à l’origine de l’ouverture de cette enquête. D’après nos sources, il s’agirait du témoignage d’une personne selon laquelle l’équipe se serait livrée, lors du Tour 2011, à de «possibles usages de perfusions de récupération» et à «la consommation de corticoïdes à des fins de performances» (1), pratiques interdites par l’Agence mondiale antidopage (AMA).

Que les lecteurs pardonnent l’humble suiveur, qui n’en est pas moins lucide depuis plus de vingt ans sur cet art singulier des mœurs cyclistes, d’exprimer non pas des doutes d’usage, mais bien des réserves de fond. Outre que nous ne sommes pas naïfs quant au choix de la date pour diffuser semblable information, devons-nous nous étonner d’apprendre que la procureure du parquet de Paris, chargée de l’affaire, fut elle-même très étonnée de découvrir que l’information venait d’être divulguée? Ce qui lui valut aussitôt des paroles mesurées: «Rien n’est avéré au moment où je vous parle, des enquêtes préliminaires, on en ouvre beaucoup et souvent, on ne débouche sur rien», déclarait-elle, avant d’ajouter que les perfusions en question «ne consisteraient pas à l’injection de produits dopants chez les coureurs, mais plutôt à l’utilisation de vitamine B, par exemple».
Jean-René Bernaudeau a immédiatement réagi. «Il n’y a aucun problème et, s’il y en avait un, je serais au courant», a-t-il plaidé, rappelant à tous son implication personnelle au sein du Mouvement pour un cycliste crédible (MPCC), l’association des équipes en pointe dans la lutte contre l’usage détourné des corticoïdes. «Il ne peut pas y avoir une dérive ! a-t-il martelé. Chez Europcar, on va plus loin que ce qu’exige la loi antidopage et ça se retourne contre nous. C’est une machination. On savait qu’on gênait, mais pas à ce point-là…»

Curieux moment, en vérité, où les mots divaguent et les rumeurs fusent. Armand Mégret, médecin de la Fédération française, vient d’élever la voix concernant l’état sanitaire du peloton français. Selon lui, sans «forcément parler de dopage», les «anomalies constatées» augmentent depuis 2012, de même que les contrôles sanitaires occasionnant des jours d’arrêt (2)…
Curieux moment, aussi, car ce tapage médiatique intervient après le limogeage par l’équipe Cofidis de son manager, Éric Boyer, remercié pour «manque de résultats» (sic). Inutile de préciser que ce fervent défenseur de la lutte antidopage ne comptait plus ses ennemis dans le milieu…
Curieux moment, enfin, puisque nous délaissons le sport, les favoris, les absents. Résumons. En l’absence d’Alberto Contador (pour suspension) et d’Andy Schleck (officiellement pour blessure), la victoire ne devrait pas échapper à l’Australien Cadel Evans, tenant du titre, ou au Britannique Bradley Wiggins. Sauf bien sûr à être démentis. Victimes de l’altérité.

(1) L’usage de corticoïdes est autorisé par l’AMA, à certaines conditions.
(2) Ce fut le cas d’Anthony Charteau, meilleur grimpeur du Tour 2010, non sélectionné cette année par Europcar.

[ARTICLE publié dans l'Humanité du 29 juin 2012.]

1 commentaire:

Anonyme a dit…

"De même que la politique est une chose trop sérieuse pour la laisser entre les mains des borgnes, le cyclisme est une chose trop sérieuse pour la laisser aux mains des aveugles"!