vendredi 29 avril 2011

Suicides de salariés : le feu de l'époque...

Le suicide est-il toujours, comme le disait Victor Hugo, «cette mystérieuse voie de fait sur l’inconnu»? Parfois, mettre fin à ses jours révèle dans toute sa cruauté un état de légitime défense. De sorte que l’acte n’en est plus un acte en tant que tel. Saisi comme par un vertige, le suicidé subit le suicide… Chacun le sait, il est des souffrances extrêmes qui, nolens volens, tendent un miroir mortifère sur l’état de nos sociétés et nous permettent de disséquer, dans un processus violent, les tréfonds de ce que nous continuons d’appeler encore «le monde du travail»…

Les traces de l'immolation par le feu de Rémi L.
Ainsi en est-il du dernier suicide chez France Télécom-Orange, dont le «mode opératoire», comme disent froidement les cliniciens, par sa symbolique du geste et du lieu, ne laisse rien au hasard. L’immolation par le feu ; et sur le parking d’un des sites de son entreprise… Tel était le choix définitif de Rémi L., mardi 27 avril, à Mérignac. Un choix radical et choquant, pour ses proches, pour ses amis, pour nous tous en vérité, mais le choix d’un homme au bout du bout, qui, exténué par des années d’humiliations et de cruelles expériences, ballotté ici et là au gré de sa hiérarchie et des instructions managériales imposées par le groupe, a préféré se retirer de la pire des manières, en laissant l’empreinte de sa mort sur un mur pour jamais assombri... En choisissant l’horreur sacrificielle absolue, à l’endroit même de son dernier poste fixe chez Orange, sans doute Rémi L. voulait-il à la fois ranimer les terribles souvenirs de l’ère Didier Lombard, dont la gestion des «ressources humaines» fut dénoncée suite à la vague de suicides, tout en révélant à tous, par l’ampleur d’un suicide impossible à cacher, que la situation chez France Télécom reste grave et provoque encore des douleurs psychologiques susceptibles de drames.

Le cas de Rémi L. fut emblématique. Devenu l’un des «préventeurs» au sein de l’entreprise, fonction créée pour prévenir les risques professionnels, «il était depuis quelque temps très amer car il s’était aperçu que tout ceci n’était que de la poudre aux yeux», témoigne un collègue… Depuis le départ de Didier Lombard et la nomination de Pascal Richard, la direction avait annoncé un changement dans ses méthodes de gestion, assurant que l’entreprise était parvenue à «apporter des réponses fortes» à la souffrance au travail… Comment n’en pas douter? Au seuil de la colère, quand toutes les frontières de la douleur ont cédé sous les assauts de l’injustice, que dire encore de la course à la rentabilité, de la réalité du stress, des ambiances délétères, des traces spectrales laissées par le «time to move»? Figure là tout ce que nous connaissons de l’évolution du travail au sein de l’économie dite libérale, la pression, la précarisation, la subordination, la concurrence entre salariés, l’individualisation des responsabilités, la désaffiliation, la sauvagerie du chacun-pour-soi...

Nous connaissons parfaitement bien les racines du mal. Mais que le suicide puisse devenir un acte ultime de résistance est une idée insupportable ! Il est grand temps que les gestes individuels et désespérés cèdent la place à des actions collectives et syndicales de grande ampleur, pour que les salariés eux-mêmes imposent des règles fondées sur le vivre-ensemble et le développement. Faute de quoi, la morbide série de suicides se poursuivra, comme depuis des années, dans tous les secteurs : Renault, France Télécom, HSBC, BNP Paribas, La Poste, EDF, Sodexho, Ed, IBM, etc. Des vies en dépendent. Qui en doute?

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 28 avril 2011.]

(A plus tard...)

mardi 26 avril 2011

Protocole(s) : Umberto Eco face à la paranoïa du complot...

Eco. Certains «chocs» littéraires sont-ils nécessairement imputables aux polémiques qu’ils suscitent ? En ouvrant le dernier livre d’Umberto Eco, le Cimetière de Prague (Grasset), nous étions instruits du procédé utilisé par ce Gargantua de culture et d’érudition historique, qui, trente ans après le Nom de la Rose, entend nous offrir le grand roman du XIXe siècle en racontant «l’histoire du personnage le plus odieux du monde, un comploteur diabolique, qui vit dans un climat malsain, complètement aberrant». En refermant le livre, le fait d’avoir été prévenu que la forme narrative risquait de provoquer en nous un véritable chavirement intellectuel ne changea en rien notre profond sentiment d’ambivalence. Renversé par cette lecture, ne sachant même que penser du héros principal de ce voyage en enfer, ci-devant Simon Sominini, à propos duquel Eco signale: «Tout est vrai ici, à l’exception de Simonini, protagoniste dont les actes ne relèvent en rien de la fiction mais ont probablement été le fait de différents acteurs.» Voici donc le récit sous forme de journal intime d’un antisémite abject, anti-franc-maçons militant, falsificateur de documents officiels en tout genre, espion et meurtrier à ses heures, né piémontais de mère française, auréolé du titre prestigieux de capitaine pour avoir «aidé» les Mille garibaldiens, plaçant toutefois les jésuites sur l’un des sommets de sa détestation: «Des francs-maçons habillés en femme.» Seulement voilà, comme pour le rendre sympathiquement ambigu, Simonini se révèle aussi fin lettré (Sue, Dumas, etc.) et amoureux éperdu de la grande cuisine, traînant ses papilles et son embonpoint dans les meilleurs restaurants de son époque… Précisons qu'il est accessoirement le faussaire du bordereau qui fit condamner Dreyfus, puis le rédacteur des différentes versions d’un «prétendu» colloque de rabbins réunis secrètement dans le cimetière juif de Prague (d’où le titre du livre), textes qui aboutirent au fameux Protocole des sages de Sion. Chacun connaît la trajectoire de cet « opuscule » à usage démonique. Diffusés depuis la Russie en 1905, aussitôt traduits dans de nombreuses langues, les Protocoles furent justement dénoncés comme un faux par le Times de Londres, dès 1921, ce qui ne l’empêcha pas de resurgir périodiquement, par exemple dans Mein Kampf, lorsqu’un certain Hitler tenta de lui accorder un certificat d’authenticité, ou plus récemment sur quelques sites xénophobes, hantés par le complot judéo-maçonnique…

Mal. Voulant traiter de la paranoïa du complot universel et de l’horreur en gestation, Umberto Eco, soixante-dix-neuf ans, a choisi la chronique vénéneuse et l’abomination pour «donner un coup de poing à l’estomac au lecteur». À la toute fin du récit, nous lisons d’ailleurs une mesure de sauvegarde: Simonini «est encore parmi nous», manière de dire que l’antisémitisme peut encore polluer notre présent… Mais? Mettre en scène les pires stéréotypes qui conduisent aux crimes de masse laisse fatalement un goût nauséeux. Où l’on parle de «solution finale», puisque «Dieu reconnaîtra les siens». Eco répète à juste titre que son (anti)héros est l’homme le plus haï du monde. Pourtant, n’en garde-t-il pas une part de séduction ? Bien sûr, personne n’aurait la stupidité d’accuser le célèbre Professore, sémiologue, essayiste et romancier universellement célébré, d’être «antijuif». Mais la vive polémique, en Italie, sur la «dangerosité» de son livre nous permet de repérer une étonnante forme d’avilissement : l’«antisémitisme involontaire». Riccardo di Segni, grand rabbin de Rome, Lucetta Scaraffia et Onion Skarafiya, professeurs à l’université romaine La Sapienza, ont dénoncé le roman, insistant sur le fait que «seul le mal est le moteur de la trame»...

Morale. Doit-on dénoncer l’antisémitisme en se mettant du côté des antisémites ? À force de lire des «choses dégoûtantes», le lecteur serait ainsi «sali par ce délire», jusqu'à penser qu’il y a «peut-être quelque chose de vrai dans ces infamies» puisque «tous les personnages en semblent persuadés». Simonini serait «tellement exagéré, tellement négatif» qu’il en deviendrait «sympathique», comme serait «sympathique», par accumulation, «tout le matériel diffamatoire étalé dans le roman». Le genre du livre – un roman et non un essai – serait également en cause, car il ne produit aucune analyse scientifique mais livre une trame convaincante. D’où l’argument massue: «Voilà la limite qui empêche un lecteur juif de s’amuser des aventures criminelles du protagoniste.» Umberto Eco accusé de «voyeurisme amoral» et de rhétorique douteuse enrobée de littérature – qui l’eût cru ? Le Cimetière de Prague est une utilisation du drame intellectuel comme préparation du mal absolu. Sans la signature morale d’Umberto Eco, le soupçon serait inévitable. Et le scandale considérable.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité 22 avril 2011.]

(A plus tard...)

lundi 18 avril 2011

Prolophobe(s) : petite réplique à une néoréac...

Guerre. Au courrier cette semaine, la lettre 
d’une consœur très mécontente enjoignant le bloc-noteur 
à plus «de retenue» dans ses critiques vis-à-vis des éditocrates qualifiés ici-même, la semaine passée, de néonationalistes et de néofachos. Ainsi donc, à vouloir dénoncer de la sorte ceux qui, je cite, «luttent vraiment contre le politiquement correct» (sic), votre serviteur serait ni plus moins un «prolophobe» dans la mesure où il négligerait les «vraies préoccupations des citoyens survivants des quartiers populaires, à savoir l’insécurité, la montée de l’islam, l’absence de vie sereine». Vous avez bien lu. Notre correspondante, dont on taira le nom par esprit républicain, parle de «citoyens survivants», comme s’il s’agissait d’une guerre. Celle des cités bien sûr. «Cher Monsieur, poursuit-elle, de bien mauvaises herbes prolifèrent ici ou là et viennent polluer les belles fleurs de la pensée journalistique. Être anti-réac est à la mode. La mode passera. Et vous avec.» Autant le dire, la violence de la forme témoigne d’une faiblesse de fond. Quand les réacs coalisés œuvrent en meute, feignent l’indignation et jouent l’irruption verbale face aux attaques, le retentissement symbolique ressemble à un assourdissant – et significatif – aveu. Se voir de la sorte accuser de pratiquer on ne sait quelle «chasse aux réacs» comme pour «se donner bonne conscience sans le moindre effort intellectuel» (dixit) nous confère au moins un gage de crédibilité. Ce qui n’empêche pas une forme de colère, lorsque nous lisons ceci: «Vous faites la démonstration que point n’est besoin de faire des recherches, des lectures ou des enquêtes de terrain pour tenter de cerner les réalités les plus dérangeantes.» L’argument est connu: «Bon nombre de Français se lassent de cette situation 
et ne goûtent guère aux leçons d’antiracisme, comme au bon vieux temps de Mitterrand, dispensées par les journalistes ayant élu domicile, pour la plupart d’entre eux, quelque part entre la maison de la Radio et la Bastille.» Voilà pour le fiel.

Honte. Trois informations. Primo: le bloc-noteur a le privilège d’annoncer qu’il vit à Saint-Denis, dans un quartier ultra-populaire du 9-3, et s’il n’idéalise rien, bien au contraire, il est plutôt fier de participer à l’essence bigarrée du monde et de se battre pour l’avenir du vivre-ensemble, là où l’égalité recule sous les assauts de l’atomisation sociale et des renoncements du service public. Secundo: la vérité oblige à admettre que faire partie de la «corporation» (journalistique) n’octroie en rien un passeport en amitié vis-à-vis de tous ses pairs. Tercio: partager une carte de presse avec certains n’est ni un honneur ni une gloire, la plupart du temps une honte… La preuve: «Vous autres et vos amis chasseurs de réacs, lit-on encore, nous ressortent leurs sempiternels discours sur la peur de l’autre et la stigmatisation. Vous n’êtes plus en 1793, il est fini le temps de faire la révolution et je ne suis pas encore au bout d’une pique.» On pourrait s’offusquer d’une aussi absurde évocation. Mais réjouissons-nous. Car la réac du jour, à l’image de ses congénères, se vit à l’évidence en personnage d’ancien régime. Et c’est bien ce qu’elle est. Chaque mot dit ou écrit, réentendu ou relu à l’aune des imprécations qui fleurent mauvais les temps maudits, nous parle d’une volonté de restauration maurassienne et/ou vichyste – et de rien d’autre. Qui sont les «prolophobes»? Les pseudos «intellectuels» ne manquent pas pour étaler leurs obsessions identitaires contribuant à la «lepénisation» des esprits. Dénonçons-les d’autant plus fort qu’il n’y a pas que Zemmour, Rioufol ou Ménard… Alain Minc n’a-t-il pas déclaré récemment que, «d’ici un an», il pourrait «probablement» déjeuner avec Marine Le Pen? L’avocat général Philippe Bilger n’a-t-il pas appelé à la «création de l’UMP-FN»? 
L’avocat Gilbert Collard n’a-t-il pas assuré que «Marine Le Pen est la seule qui ose exprimer haut et fort le non-dit d’une France exaspérée»? L’écrivain Denis Tillinac n’a-t-il pas écrit qu’existaient des «risques de guerres civiles» du fait des «minorités visibles»? Luc Ferry n’a-t-il pas osé dire que Marine Le Pen était «républicaine et démocrate»?
Et il faudrait se taire?

Post-scriptum. Fondamentalement, les gens ne croient qu’à ce qu’ils savent déjà ou imaginent. Le bloc-noteur invite donc tous les confrères qui le souhaitent à venir passer quelques jours dans son quartier, histoire de découvrir le monde réel, tel qu’il est, populaire et vivant, souvent difficile et parfois merveilleux. La rue Albert-Einstein, à Saint-Denis, est très facile à trouver. Même les taxis parisiens viennent jusque-là.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 15 avril 2011.]
 
(A plus tard...)

lundi 11 avril 2011

Néofacho(s) : Ménard et les décontaminateurs de l'extrême droite...

Excès. Les médiacratiques « modernes » - ces ego qui hurlent et hantent nos nuits noires - poursuivent leur travail d'apeurement et de désinformation, astreints, puisque engagés dans leur nihilisme névrotique, à en rajouter sur leurs outrances qui assèchent l'intelligence et les postures critiques. Leurs propagandes de masse procèdent par juxtaposition. L'époque l'autorise. Depuis quelques années, par un glissement d'autant plus sournois qu'il s'accélère, les chiens ont été lâchés. Et au prétexte qu'il fallait en finir avec le « politiquement correct » (mais lequel ?), ces idéologues décomplexés, ces aboyeurs de la haute qui rongeaient leur frein ont commencé à tout se permettre. Ou presque. Il faut dire que l'orgie verbale crasse et vulgaire du « j'ose-tout-quand-je-veux », depuis 2007, a trouvé en Nicoléon un ambassadeur de choix à côté duquel les excès n'en sont plus. Processus limpide. D'abord? Singer le prince-président en prenant sa roue, bien à l'abri, comme dans un groupe d'échappés sur les routes du Tour. Et puis? Profiter de l'aspiration, prendre quelques relais et oser enfin le cavalier seul pour tester la résistance des citoyens transformés en simples spectateurs. Dans l'air du temps-de-crise, où tous les repères ont vacillé sous les assauts de l'atomisation sociale, où toutes les peurs dominent, où toutes les stigmatisations ressurgissent, les trouvailles captées dans l'actualité par les nostalgiques de la réaction, par les revanchards de la morale, par les petits marquis de la pensée de surface, ont aisément cacophonisé le paysage. Cette surenchère glauque, par doses successives, a enfoncé toutes les frontières de la mesure, comme une accoutumance. Á partir de quel moment passe-t-on d'une drogue douce à une drogue dure? Puisqu'il nous faut envisager ce qu'il reste du journalisme médiacratique comme une croyance - disons l'une des dernières croyances d'une époque qui se pense incroyante -, constatons que ce journalisme-là ne « pense » plus ce qu'il relate ou montre, mais « croit » uniquement ce qu'il commente. Un déversoir pour prêcheurs. L'alibi est connu : «Jamais les médias n'ont à ce point été débarrassés des idéologies.» Mais que constate-t-on? Que les dogmatiques ultra-droitiers pullulent là où la parole compte, là où la surexposition favorise le matraquage doctrinal, bref, là où l'apparence du « débat » tient lieu de formatage des consciences. Leur profession: réactionnaires et néonationalistes. Leur vocation: banaliser les idées de la Vieille France barresienne et vichyste, et, si affinités, pourquoi pas valoriser quelques thématiques lepénistes.

Ménard. Le seul avantage (sic) de ce climat pourri? Au moins les masques tombent. Aux Rioufol, Zemmour (condamné pour provocation à la haine raciale), Lévy, Godet et autres Brunet (liste non exhaustive), il convient d'installer désormais l'ineffable Robert Ménard. Et à une place de choix! Vous vous souvenez de Ménard? Mais si, l'agité des médias, ancien patron de Reporters sans frontières qui dégainait plus vite qu'un M16 au point qu'on le soupçonna longtemps, à la tête de son organisation, d'avoir des liens avec quelques organisations secrètes sévissant outre-Atlantique. En ce temps-là, beaucoup (pas nous) lui accordaient un crédit professionnel, pour ne pas dire un passeport en moralité. On le disait «décidé», «prêt à tout» contre les dictatures afin de défendre la liberté de la presse. Pour un peu, certains l'auraient bien proposé pour le Nobel, lui l'ancien trotskiste capable de défier la Chine face caméras avec un tee-shirt blanc et une plume dans le cul. Mais qu'apprend-on? Qu'en plus de sévir sur RTL avec son copain Zemmour, il publie prochainement un livre au titre évocateur, Vive Le Pen, par lequel il entend dénoncer «la petite élite» (dont il est un notable notoire) qui, dit-il, «traite les électeurs du FN comme des crétins égarés». D'ailleurs, que pense-t-il des électeurs du FN? «Ce n'est pas que je les comprends, c'est que je les approuve.» Et d'ajouter pour ceux qui auraient mal entendu: «Je dis que j'approuve sur un certain nombre de points l'analyse de Marine Le Pen.» Sans ambiguïté.

Ménard : direction à droite toute.
Tâche. Séduit par Mitterrand, totalement converti à Nicoléon vingt-cinq ans après, le voici aujourd'hui maurrassien et lepéniste. Vous en doutez? Son livre débute ainsi: «Oui, vive Le Pen ! Comme une bravade, comme un gant jeté au visage de ce monde de la presse qui joue les matamores face au Front national. (...) Il ne s'agit pas ici de défendre Le Pen, père ou fille, mais de dénoncer cette traque de tout ce qui est supposé exprimer sympathie ou même vague intérêt pour des idées, des analyses qu'il est si aisé de proscrire d'un retentissant, ''facho''.» Les néofachos ne se cachent plus, l'heure est même à la décontamination de l'extrême droite. L'histoire en témoigne: les réacs, les vrais, ont rarement boudé leurs extrêmes.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 8 avril 2011.]
 
(A plus tard...)

dimanche 10 avril 2011

Menaces fascistes : près de 2000 personnes manifestent à Lyon

Le climat actuel a de quoi nous inquiéter? L'heure est aux mobilisations... Alors que personne ou presque n'en parle dans les grands médias, certaines dérives et violences d'extrême-droite ne passent plus inaperçues (et heureusement) dans quelques grandes villes de France. Ainsi, pas moins de 2000 personnes ont manifesté à Lyon, samedi 9 avril, contre "l'extrême droite" et "le fascisme", à l'appel de partis, associations et syndicats de gauche, tous réunis autour du Collectif de vigilance contre l'extrême droite du Rhône. Objectifs principaux des organisateurs: dénoncer la "recrudescence des agressions fascistes à Lyon" et l'implantation d'un "local néo-nazi" dans le quartier du stade de Gerland. Vous avez bien lu... "Ce local doit être fermé et ses occupants doivent passer sous le coup de la loi" après notamment diverses agressions en région lyonnaise attribuées à des groupuscules d'extrême droite, s'est indigné l'un des organisateurs, le conseiller régional Front de gauche Armand Creus.

Partis de la place Bellecour, les manifestants ont défilé sous le soleil jusqu'à la place Jean-Macé, derrière des banderoles proclamant "fachos hors de nos vies" ou encore "écrasons les fascistes!", "Ripostons au fascisme". Dans le cortège flottaient des drapeaux ou des banderoles de la CGT, de SUD, du PCF et du Front de Gauche, du NPA, de la Gauche unitaire, d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV), de la Fédération syndicale étudiante (FSE) ou encore de mouvements anarchistes. "Pas de fascistes dans nos quartiers, pas de quartier pour les fascistes" et "c'est pas les sans-papiers, c'est pas les ouvriers, c'est les nazis qu'il faut viser", ont notamment chanté les manifestants. "A bas le Front national!", ou bien encore "le fascisme, c'est la gangrène", ont-ils également scandé. Jeunes pour la plupart, les manifestants se sont dispersés en fin d'après-midi. "Il n'y a pas eu d'incident", a indiqué la police, qui avait mobilisé un "dispositif assez massif" pour éviter d'éventuels heurts avec des groupes d'extrême droite.
Autant le dire: nous devons soutenir toutes ces initiatives citoyennes, les faire connaître... et y participer activement.
[Source : AFP.]

(A plus tard...)

mardi 5 avril 2011

Côte d'Ivoire : toujours du sang !

Dans une guerre civile, la victoire même est toujours une défaite. Les partisans d’Alassane Ouattara se souviendront-ils de cette évidence quand, dans quelques jours, quelques semaines, ils se partageront tous les postes qu’occupent actuellement les derniers fidèles de Laurent Gbagbo? Poser cette question en ces heures absolument tragiques pour toute la Côte d’Ivoire peut paraître bien dérisoire – sauf à oublier que, au moment d’une conquête par les armes, quelle qu’elle soit, il convient toujours d’anticiper la suite des événements pour que des drames ne s’ajoutent pas aux drames… En effet, les jours qui viennent de s’enchaîner dans tout le pays et singulièrement à Abidjan, où se terre le président sortant, ont de quoi écœurer tout humain digne de ce nom connaissant un peu la situation vécue par les Ivoiriens depuis une décennie au moins…

Puisque ces temps-ci les armes ne veulent décidément pas se taire, cette confrontation horrible, avec ses meurtres aveugles et ses massacres de masse d’un côté comme de l’autre, aura des prolongements durables pour tous les Ivoiriens et au-delà. Comment oublier que l’effort multilatéral entrepris depuis 2003 avec l’ensemble des États africains a été réduit à néant depuis le dernier scrutin, alors qu’une solution politique de réconciliation était en marche ? En ce domaine, la lucidité est tout le contraire de la naïveté. Discrédité par ses actes de violence et par sa stratégie suicidaire (pour son peuple) du «seul contre tous les impérialistes», ce n’est pas prendre position pour Laurent Gbagbo que de rappeler comment et pourquoi les pressions de la «communauté internationale» l’ont poussé à un raidissement. Rappelons-nous par exemple que la «certification» de la victoire d’Alassane Ouattara par le représentant spécial du secrétaire général des Nations unies fut juridiquement ambiguë, puisque les Nations unies n’avaient pas sollicité une telle responsabilité et que cette «certification» fut prise au lendemain de la proclamation du Conseil constitutionnel donnant Laurent Gbagbo vainqueur… Beaucoup y ont vu la «main des Occidentaux». Hélas, comment pouvait-il en être autrement ?

Après quatre mois d’une crise postélectorale qui ont laissé le pays exsangue et meurtri par les violences, Alassane Ouattara, ex-directeur Afrique du FMI, a donc pris le dessus, en s’appuyant en grande partie sur les combattants armés de l’ex-rébellion. D’ailleurs, histoire de se convaincre qu’il nous faut regarder cette guerre civile tout en complexité, ne nous étonnons pas que le chef de l’ONU, Ban Ki-moon lui-même, ait exhorté hier Ouattara de prendre «des mesures contre les massacres» et les crimes de guerre perpétrés par ses troupes… Car la raison est restée étrangère à ce conflit. Et autant le dire, les événements récents ne vont rien arranger. Encouragée par Nicolas Sarkozy en personne, la solution militaire est la seule en vigueur et lorsque nous avons appris, hier, que les forces françaises de l’opération «Licorne» avaient pris le contrôle de l’aéroport international d’Abidjan –comme au bon vieux temps – et que la France avait dépêché 300 soldats en renfort, nous nous sommes dit que ce symbole laisserait de nouvelles traces indélébiles. Tous ceux qui ont poussé dans la voie de la confrontation, au mépris de ses risques et de ses conséquences, portent d’ores et déjà une lourde responsabilité. Sur ces terres chargées d’histoires mémorielles, il n’y a rien de pire que le soupçon d’ingérence et de partialité…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 4 avril 2011.]

(A plus tard...)

lundi 4 avril 2011

Ultra-droite(s) : dans l'ombre de Nicoléon, un certain Patrick Buisson...

Démocratie. Voyez un peu l’époque de dénaturation profonde. Attachés comme il se doit à tirer au jour les substrats et supports qui téléguident nos idées, notre imaginaire et nos comportements, nous voilà parfois contraints de rajouter des qualificatifs à des concepts pourtant intangibles. L’autre soir, lors d’un débat consacré à la Commune de Paris, devant une assistance chaleureuse plutôt acquise à l’Idée sinon à la cause, le bloc-noteur évoqua non la «démocratie» mais la «démocratie populaire et participative». Comme pour en identifier la nature par rapport à une autre. Une manière forcée, en somme, de signifier une distance non vis-à-vis du mot mais de l’usage qui peut en être fait et surfait dans notre chère République actuelle, frappée par une carence quasi chronique de vitalité citoyenne… Était-ce là flagrant délit? Preuve de faiblesse inconsciente? En République française, se sentir dans l’obligation de définir la démocratie est sans doute le symptôme d’un trouble si intense que la plus grande vigilance doit nous rectifier. Qu’on se le dise. À ceux qui n’ont jamais souffert, la défense de la République – entendons-nous bien, son authentique défense ! – offre un beau baptême de la douleur…

Passé. S’engager : qu’est-ce, sinon se souvenir? Qu’est-ce, sinon lire des livres d’histoire, y repenser, les déconstruire? Seulement voilà, les hommes ayant besoin de maîtres (attention à la définition du mot) pour apprendre à se passer de maîtres existeront-ils encore dans le futur ? Entre nous, comprendre et pourquoi pas idéaliser certains actes du passé comme Valmy, 1793, 1848, la Commune, le Front populaire, la Résistance, le CNR, etc., ne permet-il pas de mesurer le fossé entre ce qui est et ce qui devrait être – et dont on veut croire avec obstination non pas qu’ils ont «déjà eu lieu» mais qu’ils puissent simplement servir de points de repère pour aller encore plus loin? Ni rabâchage ni ruse de l’histoire. Juste le cri amertumé d’un prisonnier de notre ici-et-maintenant où surbouillonne ce présentisme vaporeux qui nous étouffe et nous brûle l’esprit.

Buisson. Chaque période de troubles idéologiques dresse ses hommes liges, comme ces appartements témoins dans les nouvelles zones en construction. Bien que représentant une réalité souvent fictive et furtive, ils influent sur le cours des événements. Connaissez-vous par exemple Patrick Buisson? Inconnu du grand public, même si son nom transpire désormais dès qu’il s’agit de comprendre la stratégie de porosité des idées entre Nicoléon et le Front national, voici un homme dont l’influence au Palais serait plus importante que celle d’Henri Guaino. Telle une concurrence entre ces deux conseillers les plus proches du prince-président. L’un visible, l’autre occulte. Un combat entre idéologues dont la dangerosité se mesure aussi par leur addition. À une réserve près, toutefois : à côté de Buisson, l’espèce de gaullo-souverainisme de Guaino mâtinée d’emphatiques références à la grandeur nationale, dont on ne sait jamais où elles puisent vraiment leurs racines, peut paraître bien inoffensive. Entre la droite nationale et une forme de républicanisme mystique, Patrick Buisson a depuis toujours choisi : la droite nationale, mais version extrême… Âgé de soixante et un ans, ce maurrassien, grand nostalgique de l’Algérie française, au pedigree long comme une vie sans amour, fut ni plus moins que le directeur de la rédaction du journal d’extrême droite Minute, au milieu des années 1980, actuellement directeur du cabinet de sondages Publifact et patron de la chaîne de télévision Histoire. Vous avez bien lu…

Aigle. Cet homme, donc, est un ami proche de Nicoléon et à ce titre, il le conseille, l’instruit sur ses analyses, le nourrit de données chiffrées. Le virage sécuritaire? Ce serait lui. Le maudit ministère de l’Identité nationale? Encore lui. L’homme a des certitudes et depuis qu’il avait prédit la victoire du «non» au référendum constitutionnel en 2005 (il n’était pas le seul), Nicoléon ne jure que par ses conseils et ne cache pas son admiration. Lors d’une remise de Légion d’honneur à l’intéressé, il avait déclaré sans ciller : «Vous êtes un journaliste de conviction, ce qui est rare. Un journaliste de grande culture, ce qui est très rare.» Au temps de Minute, Patrick Buisson dialoguait avec Jean-Marie Le Pen ou Bruno Mégret, dénonçait la «nomenklatura à la française» des fonctionnaires, vantait «les mérites» des quartiers de haute sécurité ou des résidences vidéosurveillées, réclamait le retour de la peine de mort, s’interrogeait sur «l’intérêt» de l’impôt sur le revenu, etc. Voilà le genre «d’éminence grise» sur laquelle repose la politique nicoléonienne. Bush avait ses faucons. Notre prince-président a son aigle bicéphale. Une époque de dénaturation, on vous dit…

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 1er avril 2011.]

(A plus tard...)

vendredi 1 avril 2011

La laïcité profanée ?

La laïcité ? «L’État chez lui, l’Église chez elle.» La loi de séparation ? «La marche délibérée de l’esprit vers la pleine lumière, la pleine science et l’entière raison.» Oser citer Victor Hugo puis Jean Jaurès – rien de moins – n’aurait aucun sens si la situation actuelle ne réclamait un peu plus que de la vigilance, disons une résistance combative… Les urnes des cantonales à peine vidées, avec le succès que l’on sait pour l’UMP, le président, plus inconscient que jamais, semble ne pas vouloir renoncer à son pseudo-débat sur la laïcité, toujours programmé le 5 avril. Rien pour l’instant ne l’a ramené à la raison, pas même les réserves, nombreuses, venues de son propre camp, occasionnant un psychodrame UMP-institutions quasi unique dans l’histoire de la Ve République.

Depuis le rappel à l’ordre du prince-président, tout le monde est rentré dans le rang, sans pour autant nous faire oublier que le parti présidentiel est désormais divisé en deux clans. Ceux qui pensent sans le dire qu’en se focalisant sur les thématiques identitaires l’UMP a volontairement désenclavé les thèses du Front national. Et ceux qui pensent et en le disant (parfois) que l’avenir de la droite, à l’image du continent, se joue «désormais à l’ultradroite», assumant sans complexe la comparaison avec le modèle italien de porosité des idées entre mussolinisme et berlusconisme. Et au milieu de ce fourre-tout idéologique? Des Français déboussolés qui, pour la plupart, tentent vaille que vaille de boucler leurs fins de mois, errant dans un paysage républicain et moral totalement dévasté…
Dans un texte que nous publions, les représentants de six grandes religions en France rappellent que «la laïcité est un des piliers de notre pacte républicain» et s’inquiètent d’éventuelles dérives. La loi de 1905 reste en effet une loi fondamentale d’apaisement, qui institue l’indépendance de l’État et établit la liberté de culte, l’absolue liberté de conscience, bref un idéal positif d’affirmation de l’égalité. Or à quoi peut bien servir ce débat sur la laïcité, sinon, de nouveau, à éloigner des vrais sujets, à troubler les esprits, à diviser, à abuser des rhétoriques de peur engendrées par les logiques de stigmatisation ? Ce débat ne visera qu’à cultiver des islamalgames odieux qui déshonorent la République.

Souvenons-nous. En manipulant un faux débat sur «l’identité nationale», en prônant la reconfessionnalisation de la société, présente dans son discours de Latran théorisant la «supériorité du prêtre sur l’instituteur dans la transmission des valeurs», Nicolas Sarkozy avait déjà déchiré une partie du pacte républicain. Dans une sorte de conception immuable de la nation, méfiante à l’endroit des différences, comme s’il n’y avait qu’une seule façon d’être français, il voulait dicter un «patrimoine génétique» de notre pays. En souhaitant re-discuter cette fois de la laïcité, il opère un syllogisme vichyste. Pourquoi avoir peur des mots? Par glissements successifs, vous verrez qu’un jour certains ne se référeront plus du tout à la République et exalteront, comme aux pires époques, le seul État-français... Spécialiste de la décontextualisation systématique de l’histoire, ce qui explique en partie son «ni-ni», Nicolas Sarkozy n’est rien d’autre qu’un néo-nationaliste qui ne se cache presque plus, serviteur d’une droite maurrassienne devenue ultralibérale. Comment s’étonner, après, que son conseiller occulte, Patrick Buisson, soit un ancien directeur de la rédaction de Minute ?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 31 mars 2011.]

(A plus tard...)