Pierres. Par leur
caractère irraisonné, les catastrophes disent toujours quelque chose des
époques où elles surviennent et témoignent, au hasard des vies ébranlées à la
hauteur des mécomptes et des actifs de l’Histoire, de ce que les hommes maçonnent
par un double orgueil: beauté, éternité. Notre-Dame de Paris ne serait
qu’un tas de pierres – certes consacré par religion – si l’imaginaire commun ne
l’avait assemblée par l’esprit et l’écrit dans une sorte de création humaine
universelle non réductible à sa seule fonction, comme marquée «d’une
telle griffe de lion, que personne désormais ne se hasardera d’y
toucher», pour reprendre les mots de Michelet. Une vieille cathédrale huit
fois centenaires, dont nous savons tout ou presque, adossée néanmoins à un
autre édifice tout aussi sacré, une cathédrale de poésie, aussi ferme que les
fonds baptismaux de l’autre, aussi puissante et symbolique que ses tours, sa
flèche et ses rites ancestraux. Que de chemin parcouru. Que de drames et d’évidences,
depuis le chef d’œuvre de Victor Hugo, en 1831: «Notre-Dame est
aujourd’hui déserte, inanimée, morte. On sent qu’il y a quelque chose de
disparu. Ce corps immense est vide ; c’est un squelette ; l’esprit
l’a quitté, on en voit la place, et voilà tout.» Devant le terrible spectacle
de flammes rutilantes qui rongèrent le cœur de Paris, nous repensions, comme
beaucoup, à ce monument de papier et à ces phrases prophétiques sur le monument
de pierre. Quelquefois, l’insensibilité n’est pas de mise devant ce qui nous
dépasse et nous réunit: appelons-cela une culture populaire, en tant que
formulation définitive. Les strophes, les fureurs, les joies, les illuminations
aussi, le monde entier en a eues et en aura encore en admirant les tympans de
la Dame, ses ogives et ses arcs-boutants, pas loin de la place Louis-Aragon, lui
qui hanta et exalta les lieux en les immortalisant dans Aurélien,
en 1944: «Ô les longues rues amères autrefois et le temps où
j’étais seul et un ! La marche dans Paris, cette longue rue qui descend
vers Notre-Dame !», ou dans Le Paysan de Paris, en
1926: «Qui n’a pas vu le jour se lever sur la Seine, Ignore ce que
c’est que ce déchirement, Quand prise sur le fait la nuit qui se dément, Se
défend se défait les yeux rouges obscène, Et Notre-Dame sort des eaux comme un
aimant.»
Mémoire. Par elle, avec elle et en elle, ressurgit ce que d’aucuns nomment le «patrimoine», mais qui pourtant se dresse au ciel par des noms, Jeanne d’Arc, Henri IV, Bossuet, Jean-Jacques Rousseau, Bonaparte, Sainte-Beuve, Claudel, Gautier, Zola, Péguy, De Nerval, Matisse, Mauriac, Prévert, De Gaulle, etc., sans oublier Quasimodo, Frollo et Esmeralda, et tant de passants inconnus qui l’honorèrent de leurs savoirs, de leurs présences et de ce qui nous constitue collectivement: la mémoire, qui n’appartient qu’au peuple. Raison pour laquelle nous regarderons avec amusement et colère la main tendue de ces «généreux donateurs» à centaines de millions défiscalisés, ces «riches» dont a parlé Mac Macron, lui qui se rêve sans doute un destin national et pourquoi pas une messe ici-même, après trépas, comme De Gaulle et Mitterrand, comme si la République n’avait pas d’autres moyens d’idolâtrer ses grands morts que de les confier à l’Eglise. Si le mythe est plus grand que la catastrophe, si les grands événements de l’histoire de Notre Dame à travers les siècles, jusqu’au XXIe, sonnent telle une permanence voire un renforcement de sa symbolique nationale, nous le devons aux forces des âmes conjuguées, «où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l’ouvrier disciplinée par le génie de l’artiste», écrivait Victor Hugo, que nous ne nous lasserons pas de revisiter: «Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre deux clochers avec des tourbillons d’étincelle, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée.»
Mémoire. Par elle, avec elle et en elle, ressurgit ce que d’aucuns nomment le «patrimoine», mais qui pourtant se dresse au ciel par des noms, Jeanne d’Arc, Henri IV, Bossuet, Jean-Jacques Rousseau, Bonaparte, Sainte-Beuve, Claudel, Gautier, Zola, Péguy, De Nerval, Matisse, Mauriac, Prévert, De Gaulle, etc., sans oublier Quasimodo, Frollo et Esmeralda, et tant de passants inconnus qui l’honorèrent de leurs savoirs, de leurs présences et de ce qui nous constitue collectivement: la mémoire, qui n’appartient qu’au peuple. Raison pour laquelle nous regarderons avec amusement et colère la main tendue de ces «généreux donateurs» à centaines de millions défiscalisés, ces «riches» dont a parlé Mac Macron, lui qui se rêve sans doute un destin national et pourquoi pas une messe ici-même, après trépas, comme De Gaulle et Mitterrand, comme si la République n’avait pas d’autres moyens d’idolâtrer ses grands morts que de les confier à l’Eglise. Si le mythe est plus grand que la catastrophe, si les grands événements de l’histoire de Notre Dame à travers les siècles, jusqu’au XXIe, sonnent telle une permanence voire un renforcement de sa symbolique nationale, nous le devons aux forces des âmes conjuguées, «où sur chaque pierre on voit saillir en cent façons la fantaisie de l’ouvrier disciplinée par le génie de l’artiste», écrivait Victor Hugo, que nous ne nous lasserons pas de revisiter: «Sur le sommet de la galerie la plus élevée, plus haut que la rosace centrale, il y avait une grande flamme qui montait entre deux clochers avec des tourbillons d’étincelle, une grande flamme désordonnée et furieuse dont le vent emportait par moments un lambeau dans la fumée.»
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 19 avril 2019.]
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