Renouer avec les idéaux de justice sociale et l’esprit de l’indépendance… Plus de doute: ce qui se déroule en Algérie ressemble, désormais, à un mouvement de masse de type prérévolutionnaire. La démonstration du peuple, vendredi 8 mars, dépasse de loin tout ce que le pays a connu depuis trente ans. Combien étaient-ils ces manifestants, ces étudiants, ces lycéens, premiers à protester et rejoints aujourd’hui par une grande partie de la population de tout âge, dont de nombreuses femmes? À Alger, des flots ininterrompus de citoyens venant des différents quartiers se sont déversés sur les grandes places. Une marée humaine couvrant toutes les grandes et petites artères de la ville, à croire que toute la capitale était descendue dans la rue exprimer sa colère. Ce fut semblable à Oran, Béjaïa, Sétif ou Ghardaïa. Des millions ont répondu à l’appel. Comme un sursaut d’orgueil pouvant remettre l’histoire à l’endroit.
Jamais une cause n’a mobilisé autant la société dans toutes ses composantes. L’ambiance n’est déjà plus la même. Au refus d’un cinquième mandat d’Abdelaziz Bouteflika viennent s’ajouter des revendications d’une maturité et d’une radicalité exemplaires. Beaucoup de manifestants avaient même ressorti les drapeaux ternis par le temps de la guerre d’indépendance – un geste symbolique qui témoigne de la considération qu’ils ont vis-à-vis du clan Bouteflika, aux affaires depuis 1999. Malgré l’avertissement du pouvoir contre les risques de «chaos» et de «retour à la guerre civile comme en Syrie», ces femmes et ces hommes debout ont tenu à marquer leur présence dans un pacifisme total. Face à ce peuple fabuleux de dignité et de détermination, le système semble bel et bien se désintégrer. Si les tenants du régime escomptaient un essoufflement du mouvement, ils ont leur réponse. Cinglante. Aucune voix, dorénavant, ne sera supérieure à celle de ce peuple, qui réclame un changement irréversible dans la manière dont est géré le pays.
Devant ce moment d’Histoire, il n’est pas inutile de rappeler que la France n’a rien à dire, rien à faire qui pourrait crisper la situation. Édouard Philippe a raison de rappeler qu’il s’agit d’un «pays souverain» et que «c’est aux Algériens qu’il revient de prendre les décisions sur leur avenir». Mais alors, pourquoi son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, a-t-il osé déclarer: «Nous devons laisser le processus électoral se dérouler»? Quel «processus»? Savoir se taire s’avère indispensable. D’autant que les Algériens préparent une semaine de désobéissance civile, une étape sans doute décisive dans la résistance. Le fleuve de la colère est sorti de son lit: il n’y retournera pas.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 11 mars 2019.]
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