Dans une société en crise de civilisation, il n’y a rien d’étonnant à ce que les fonctionnaires et l’idée même de «fonction publique» subissent les contrecoups les plus démesurés, qui viennent s’ajouter aux autres maux déjà constatés depuis des années.
Destructions. Fonction publique: ces deux mots, si joliment associés, hantent les capitalistes depuis des décennies. Ces deux mots n’en font pourtant qu’un: ils enjambent notre histoire républicaine dans ce qu’elle a de plus sacré, son processus révolutionnaire – et chacun des moments qui l’ont constitué, en particulier dans l’immédiat après-guerre… Tout le monde a bien compris que Mac Macron assumait, au nom de la «réforme», l’une des contre-révolutions les plus emblématiques du quinquennat en cours. Au moins ne l’accusera-t-on pas d’incohérence avec lui-même. L’homme «moderne», libéral chevronné et idéologiquement compatible avec le capitalisme qu’il déclare vouloir «façonner à l’image de nos ambitions», n’affirmait-il pas, alors ministre de l’Économie, que le statut des agents de la fonction publique n’était «plus adapté au monde tel qu’il va» et «surtout plus justifiable»? L’annonce du gouvernement, la semaine dernière, d’un «plan de départs volontaires» pour supprimer au moins 120 000 postes de fonctionnaires (autrement dit le plus formidable plan de suppression d’emplois depuis soixante-dix ans), outre qu’il constitue une véritable bombe sociale sans précédent, ne devrait pas nous surprendre. Ce n’est pas très nouveau : sur le plan économique et social, le chef du Sous-État se plaît à danser sur le fumier de l’époque, où il puise l’essentiel de ce qu’il considère comme du «courage politique», mais qui ressemble à s’y méprendre à de la vanité de classe trempée dans l’acide financier. Dans une société en crise de civilisation, il n’y a rien d’étonnant à ce que les fonctionnaires et l’idée même de «fonction publique» subissent les contrecoups les plus démesurés, qui viennent s’ajouter aux autres maux déjà constatés depuis des années: blocage des rémunérations, compression des effectifs, réduction de la dépense, affaiblissement de la motivation, atonie des syndicats, etc. Nous connaissons le discours dominant, calqué sur cette déperdition de la notion d’intérêt général, qui s’en trouve affectée au profit d’objectifs individuels. Dans les conditions d’un libéralisme idéologiquement dominant, il est presque «compréhensible» sinon «inévitable» que soit contestée toute construction rationnelle, finalisée néanmoins par des valeurs historiquement fondées, solidement ancrée dans un État de droit expérimenté, servie par des agents publics compétents et traditionnellement attachés au bien commun. Mac Macron sait que tel est le sort du statut général des fonctionnaires. Et qu’il s’agit d’un enjeu politique majeur.
Conscience. Ladite «crise de civilisation» nous invite à une réflexion globale sur la marche du monde. Considérons-la comme une chance, histoire de donner raison à Hölderlin: «Là où est le danger, là est ce qui sauve.» Comment croire que le statut général des fonctionnaires, une exception française, soit inséparable de ce moment de basculement anthropologique? Résumons: dans quelle société voulons-nous vivre? Davantage que par le passé sans doute, il convient de resituer la spécificité des fonctionnaires dans l’ensemble du monde salarial et du mouvement social, sans en rabattre sur un point crucial. Il faut «jouer» sur le terrain de l’affrontement idéologique avec les libéraux, pas à côté. Le terrain essentiel n’est pas l’argent, mais le travail. La question centrale ne concerne pas la seule répartition des richesses (importante) mais bien sa production. La conscience émergente d’un intérêt général du genre humain pose désormais la question de la base matérielle, de la propriété publique et même de l’appropriation sociale nécessaire pour traduire la destination universelle des biens publics. Profitons-en pour défendre une idée simple. Au lieu de tirer les fonctionnaires vers les logiques du privé et de ses conventions précaires, renforçons la base législative de tout ce qui peut sécuriser l’emploi dans le secteur privé. Dans le premier comme dans le second cas, c’est tout le contraire qui se produit. Les bonnes questions restent donc devant nous. (À suivre…)
Conscience. Ladite «crise de civilisation» nous invite à une réflexion globale sur la marche du monde. Considérons-la comme une chance, histoire de donner raison à Hölderlin: «Là où est le danger, là est ce qui sauve.» Comment croire que le statut général des fonctionnaires, une exception française, soit inséparable de ce moment de basculement anthropologique? Résumons: dans quelle société voulons-nous vivre? Davantage que par le passé sans doute, il convient de resituer la spécificité des fonctionnaires dans l’ensemble du monde salarial et du mouvement social, sans en rabattre sur un point crucial. Il faut «jouer» sur le terrain de l’affrontement idéologique avec les libéraux, pas à côté. Le terrain essentiel n’est pas l’argent, mais le travail. La question centrale ne concerne pas la seule répartition des richesses (importante) mais bien sa production. La conscience émergente d’un intérêt général du genre humain pose désormais la question de la base matérielle, de la propriété publique et même de l’appropriation sociale nécessaire pour traduire la destination universelle des biens publics. Profitons-en pour défendre une idée simple. Au lieu de tirer les fonctionnaires vers les logiques du privé et de ses conventions précaires, renforçons la base législative de tout ce qui peut sécuriser l’emploi dans le secteur privé. Dans le premier comme dans le second cas, c’est tout le contraire qui se produit. Les bonnes questions restent donc devant nous. (À suivre…)
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 9 février 2018.]
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