jeudi 13 avril 2017

Repentance(s)

Si, la France est coupable de la rafle  du Vél’d’Hiv.
 
Irréparable. La pensée profonde de Fifille-la-voilà s’exprime donc périodiquement. Nous parlons bien là de son corpus idéologique d’extrême droite fascisant, qu’elle camoufle si mal derrière ses mots stratégiquement ripolinés qu’il lui arrive souvent de se révéler (amen!) au-delà de ce qu’elle souhaiterait. En affirmant, dimanche 9 avril, que «la France n’était pas responsable du Vél’d’Hiv», la patronne du Front nationaliste rappelle bruyamment – du moins à tous ceux qui en doutent encore – qu’elle n’a en rien rompu les liens idéologiques et filiaux avec son père. Sans surprise, en vérité, tous deux refusent en effet l’implication de la France dans l’arrestation par la police française et la livraison aux Allemands de 13 000 juifs, dont 4 000 enfants, acheminés dans les camps d’extermination nazis. Contre le «devoir d’histoire», contre le «travail de mémoire», Fifille-la-voilà réactive le pire passé, en pleine campagne électorale, et laisse croire que seuls les décisionnaires de l’époque, à savoir Pétain et Laval, à la tête du gouvernement de l’État français installé à Vichy, seraient les responsables de cette rafle et de cette déshonorante page de l’histoire. En somme, vous avez compris le message: arrêtons avec la repentance, toutes les repentances, quelles qu’elles soient, y compris celles qui permettent de mettre des mots sur l’innommable, au regard du temps long. Le surgissement de cette polémique minable est non seulement stupide et inutile, mais il s’avère surtout un contresens avec l’évolution opérée depuis plus de vingt ans par nos dirigeants, dans le prolongement des travaux des historiens eux-mêmes. Après cinquante ans de refus de repentance par de Gaulle et Mitterrand, qui reflétaient l’un comme l’autre l’attitude assumée par la génération de la Seconde Guerre mondiale, il a fallu attendre 1995 et le discours de Jacques Chirac lors de la commémoration (oui, Jacques Chirac!) pour que, enfin, la France assume. Nous n’oublierons jamais notre émotion quand le président déclara que «la France, ce jour-là, commettait l’irréparable». La formule était lâchée: «La France». Depuis, aucun de ses successeurs, aucun premier ministre, n’a contesté cette position devenue officielle. Même Nicoléon, pourtant jamais avare dans les récupérations historiques, parfois odieuses, avait estimé dans l’exercice de ses fonctions qu’il n’avait «rien à retrancher et rien à rajouter à ce beau discours» de Jacques Chirac. Autant dire que l’histoire de France avait tranché, en quelque sorte. 
 
Danger. Ce que n’admet pas et n’admettra jamais Fifille- la-voilà, et pour cause, tient en une phrase : ce sont ses prédécesseurs de Vichy qui ont aboli la République française, eux, les partisans de la révolution nationale (qu’elle chérit tant), eux, qui portèrent la responsabilité de la défaite et de la collaboration. Ce n’était plus la République. La République française n’était donc pas coupable, mais la France, elle, l’était! Ne pas le reconnaître aujourd’hui signe l’infamie et nous renseigne, encore et encore, sur le danger du Front nationaliste, qui, en apparence, joue le jeu de la démocratie électorale – en refusant l’étiquette d’extrême droite mais en préparant l’opinion à accepter un processus de solutions qui tournent le dos à la démocratie et visent à rompre le pacte républicain, comme le firent ses aïeux. Prenons la mesure: la normalisation et la dédiabolisation du FN ont fini par avoir un prix, celui du point de non-retour à partir duquel il convient de ne pas rester terrifié, mais de devenir terrible, pour plagier Sartre. Pour combattre l’extrême droite sans seulement tenter de sauver l’honneur, il faut imposer des principes, des fondations politiques, des perspectives et des alternatives réelles. Alors seulement nous repousserons les logiques de peur et d’exclusions dont les relents fascisants nous ramènent, par un mouvement d’involution invraisemblable, aux années 1930.
 
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 14 avril 2017.]

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