lundi 6 février 2017

Légitime(s)

La France a besoin d’une rupture à gauche d’une ampleur sans précédent.
 
Rêve. Dans sa chronique hebdomadaire donnée à Libération, intitulée «Médiatiques», Daniel Schneidermann n’avait pas tort, cette semaine. «Un intrus s’est glissé sur les plateaux de la politique continue: le rêve. (…) Au début, l’éditocratie dominante, prise de court, ne se montre pas hostile. Comment pourrait-on s’opposer au rêve? (…) Mais voici que Hamon franchit en tête le premier tour de la primaire. Alors là, ce n’est plus drôle du tout. Rendez-nous nos cauchemars préférés, la dette et le terrorisme!» En quelques mots, tout est dit. Et plutôt bien vu. Même s’il conclut ainsi, comme un pied de nez qu’on ne saurait lui reprocher: «Ce n’est pas Bakounine, Hamon. Ce n’est pas Lénine. On ne sait pas s’il faut y croire, à son rêve. Peut-être qu’on sent bien, au fond, qu’il faudra se réveiller un jour.» Le moment politique actuel s’avère tellement imprévisible, à la limite d’une séquence pré-insurrectionnelle, pensent certains, que, dans un journal comme l’Humanité, Benoît Hamon nous intéresse, sans parler d’une partie de son discours «culturel», qui ne peut pas nous laisser indifférents. Il nous intéresse d’autant plus que son succès «dit» quelque chose qui n’a rien d’anecdotique, et qui, admettons-le, ne se mesure pas uniquement au nombre de voix. Comme l’a écrit Jean-Luc Mélenchon au lendemain du second tour de la primaire: «Le fait n’est donc plus la primaire mais ce qui s’exprime à travers elle.» Pour le signifier autrement, comment ne pas se réjouir de la volonté d’une partie de la gauche non seulement d’avoir sorti sans ménagement les sortants, responsables de la catastrophe du quinquennat, mais également d’avoir voulu, consciemment ou non, se ressourcer à gauche après une trop longue période d’égarement idéologique? D’ailleurs, à bien y réfléchir, le «rêve» a-t-il vraiment un rapport avec cette situation? Réenchanter la gauche, la vraie gauche, cela ne serait-il qu’un songe?
 
Rupture. Ainsi, Benoît Hamon a réussi ce que personne n’imaginait possible. Il a renvoyé l’ex-premier sinistre en vacance du pouvoir – souhaitons-la définitive. Reconnaissons que le vainqueur a même, dans ce contexte, créé sur son nom une réelle dynamique. Mais une question se pose désormais, une question brûlante qui va occuper pas mal d’esprits dans les jours et les semaines à venir: peut-il rassembler toute la gauche ? Et une autre aussi, moins importante à nos yeux: sauvera-t-il le PS? Pour le dire vite, si Hamon reste seul avec une partie des socialistes, les autres ayant rallié en masse la marche de l’empereur Macron pour former le parti de la loi travail, l’élu reconstituera une sorte de PSU (tant pis pour les moins de 20 ans) qui s’éteindra tôt ou tard et ne servira strictement à rien. Loin de nous hanter, la première question demeure donc la plus pertinente : peut-il rassembler toute la gauche? Comment n’en pas douter? Sérieusement, qui n’aspire pas à une vraie gauche rassemblée et conquérante, repoussant sur un temps long l’hégémonie du PS sous sa forme quinquennale, une gauche capable d’écarter l’extrême droite menaçante, de battre la droite radicalisée et ultra-conservatrice, et de réussir enfin, au pouvoir, la politique pour laquelle le peuple de gauche lui demande de gouverner? À l’étape actuelle, nous sommes d’accord avec l’historien Roger Martelli, qui écrivait ceci en début de semaine: «Au fond, Benoît Hamon incarne la continuité d’un Parti socialiste qui a accompagné les reculs successifs d’un socialisme devenu hégémonique au début des années 1980. Jean-Luc Mélenchon ouvre la voie d’une rupture dont toute la gauche pourrait bénéficier. Mais pour aller au bout de cette possibilité, des ajustements doivent s’opérer, sur le fond comme dans la forme.» Nous connaissons l’enjeu: la France a besoin d’une rupture à gauche d’une ampleur sans précédent. Benoît Hamon est-il de ce combat? Et à quelle légitime place? 
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 3 février 2017.]

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