jeudi 23 février 2017

Toile(s)

Facebook et les réseaux sociaux sont des monstres froids entre les mains d’agitateurs exaltés.
 
Facebook. Un peu comme Serge Daney à la fin des années 1980, qui s’était forcé – pour des raisons autant journalistiques qu’anthropologiques – à ingurgiter des programmes de télévision à haute dose afin d’en comprendre les ressorts pour mieux les déconstruire dans des chroniques célébrissimes données à Libération (rassemblées dans « le Salaire du zappeur », POL, 1993), le bloc-noteur, depuis dix semaines, comme certains le savent, expérimente donc Facebook. Dans les bras de la pieuvre. Certes, avec beaucoup moins d’ambition que le grand Daney, puisqu’il n’y aura, ici, ni tenue régulière des affres de cette toile-là, ni exégèse de cette espèce de démence qui guette tous ceux qui se connectent parfois compulsivement. Entre ceux qui affirmaient sans rire: «Tu entres enfin dans le XXIe siècle!» et d’autres qui prédisaient: «Tu perds ton temps, ce n’est pas pour toi», admettons que le point nodal ne se situe ni dans l’un ni dans l’autre, encore moins dans cette zone grise par laquelle tout pourrait se justifier. Après tout, chacun s’y vautre à sa convenance, mélangeant sans fioritures son ego ou sa mise à distance, selon son bon vouloir et sa rigueur propre. Et au milieu? Coule une rivière… de tout et n’importe quoi. Comme pour s’en prémunir faussement, deux principes fondateurs ont néanmoins guidé la «démarche», chacun pouvant en tirer un conseil. Primo: s’astreindre à un profil «public», histoire de ne pas susciter «interprétations» ou «quiproquos». Secundo: rien de personnel, ou en tout cas, le moins possible, la frontière étant toujours poreuse en ce domaine, et la tentation redoutable sinon mortifère. Résultat? Déjà plus de 1 200 «amis» en deux mois. «Amis»: terme impropre, convenez-en, qui met en pièces sa définition même et ce par quoi nous nous y attachons dans l’existence, surtout par grands vents. Mais passons.
 

mardi 21 février 2017

S’il vote Le Pen, le peuple vote contre lui-même

Le vote FN se structure dangereusement, même dans l’éventualité d’un second tour. Ce parti n’est pourtant que la négation brutale de l’esprit et l’agrégation de tout ce qu’il y a de pire.
 
L’Histoire nous l’a assez enseigné. En politique, quels que soient les moyens pour parvenir à ses fins, il n’y a jamais de «plafond de verre». Les sondages ne sont que des sondages, et s’ils ne disent qu’imparfaitement une éventuelle réalité à venir, les derniers en date nous glacent d’effroi, comment le dire autrement? À deux mois de la présidentielle, Marine Le Pen, favorite du premier tour, réduirait fortement l’écart sur son adversaire au second tour, que ce soit, pour l’instant, Fillon ou Macron. Celle-ci obtiendrait de 42% à 44%. Des scores inédits. Ces temps-ci, ni les casseroles monumentales qu’elle et ses affidés traînent derrière eux, ni son programme de haine, ni les nazillons qui composent son parti, ni même la peur de l’extrême droite enracinée pourtant dans notre trajectoire contemporaine, ne semblent freiner ce phénomène. Un phénomène à la fois compréhensible, hélas, vu la situation de pourrissement du pays, et si irrationnel, qu’il nous révolte à mesure que les semaines passent. Si le FN n’est que la négation brutale de l’esprit et l’agrégation de tout ce qu’il y a de pire, doit-on néanmoins s’étonner que Marine Le Pen s’avance gaiement, sans complexe et sans vergogne, proférant tout et son contraire, ratissant le plus large possible, quitte à se goinfrer de thèmes de gauche pour mieux semer la confusion, tout en laissant libre court à ses obsessions xénophobes associées à une critique du néolibéralisme de fraîche date? Terrifiante mécanique, propulsée par la droite elle-même depuis quinze ans, alors que la crise sociale nourrit les désespoirs les plus intenses et les catastrophes idéologiques qui vont avec. Que les pauvres, les sans-emploi, les faibles, les salariés ne l’oublient jamais: s’ils votent de la sorte, ils voteront d’abord contre eux-mêmes! Combien de fois faudra-t-il l’écrire?
 

jeudi 16 février 2017

Populaire(s)

Il y a dix ans, lors des révoltes de 2005, le regretté sociologue Robert Castel évoquait déjà  la «discrimination négative» dont sont victimes les jeunes héritiers de l’immigration, assignés à résidence, victimes d’un combat de classes à sens unique.
 
Différenciation. Certaines violences policières disent beaucoup de choses de l’état d’un pays. Comment qualifier le nôtre et l’ici-maintenant que nous traversons, à la lumière des événements qui secouent quelques quartiers populaires depuis quinze jours, depuis qu’un jeune homme a subi ce que nous savons? Les appels au calme, certes indispensables, appuyés par les déclarations de Théo lui-même – «Soyons unis, stop à la guerre» –, suffiront-ils à apaiser les vives tensions qui resurgissent périodiquement et posent sur chacun d’entre nous un miroir grossissant? Tellement d’ailleurs que prêcher un catéchisme républicain ne suffit plus, désormais, à résorber une fracture d’autant plus profonde qu’elle porte atteinte précisément aux ferments républicains. Soyons clairs, et ce n’est pas faute de le répéter dans les colonnes du journal de Jaurès, depuis si longtemps que nos plumes semblent comme asséchées par la répétition: jamais la République, dans l’exercice de sa puissance contemporaine, n’a autant délaissé et/ou humilié ses enfants les plus démunis. Le pacte social s’est non seulement délité, mais qu’en reste-t-il vraiment dans les zones les plus paupérisées, là où la simple survie devient une tâche quotidienne et bouche l’horizon? Si la République –par le truchement des représentants missionnés par l’État– ne passe plus dans les quartiers populaires, où passera-t-elle encore? Que devient, que deviendra la dignité des plus faibles? Voici donc un cas de plus, emblématique, éloquent. Un cas de trop. Tout cela à quelques semaines d’une échéance électorale majeure, alors que les grands médias et la plupart des candidats oublient l’«égalité» de nos frontons et résument la vie des quartiers à des «zones de non-droit» et leurs jeunes habitants à des «racailles» à éradiquer, fussent-ils en colère et que ce soit légitime ou non: disproportionné souvent, parfois absurde et contre-productif. Et alors? Ces citoyens-là se sentent-ils traités à parité, comme des semblables, indépendamment de leur origine sociale ou géographique ? 
 

mardi 14 février 2017

Macron, l'homme de main


«Tout commence en mystique et finit en politique», disait Péguy. Au moins tiendrons-nous la citation pour une prophétie. Quand le mystique Macron passera vraiment à la politique, c’en sera fini!

Pour un peu, même en le relisant cent fois, on pourrait ne pas le croire… Parlant de la campagne électorale, à quelques semaines de la présidentielle, le candidat Emmanuel Macron affirme donc que «c’est une erreur de penser que le programme est le cœur». Les propos de Macron-la-finance sont tellement édifiants et hallucinants qu’ils devraient le disqualifier sine die. Loin des yeux, loin du cœur. Sans doute loin de l’esprit aussi. Puisque, selon lui, «la politique c’est un style» et «une magie» (sic), puisque «la politique, c’est mystique», sans doute connaît-il ses classiques: «Tout commence en mystique et finit en politique», disait Péguy, qui a connu des plagiats bien meilleurs. Au moins tiendrons-nous la citation pour une prophétie. Quand le mystique passera vraiment à la politique, c’en sera fini! Car soyons sérieux deux minutes. Passé au laminoir de ses idées et – pardon – de ce qu’il est fondamentalement, Macron a tout de la créature d’un système à bout de souffle, alors que les médias dominants nous le présentent du matin au soir comme le candidat «antisystème».

Pourtant, qu’incarne-t-il d’autre que le cœur du réacteur? Il le revendique d’ailleurs, par ses manières affirmées de vouloir «façonner un capitalisme à l’image de nos ambitions». Quelles ambitions? Énarque, banquier d’affaires, conseiller de François Hollande, ministre de l’Économie, militant de l’ubérisation la plus sauvage et de la loi catastrophique qui porte son nom, Macron n’a rien du qualificatif «progressiste» dont il s’affuble en braillant, encore moins du vocable de «révolution», comme l’affirme le titre de son livre. Comment ne pas croire que le plan de com, si grossier, n’explosera pas bientôt en rase-mottes? Macron, c’est le relookage d’un quinquennat de hautes trahisons dont la justice de classe s’est déjà emparée pour l’histoire. Oui, un relookage en vue d’un prolongement politique inespéré pour tous les libéraux et leurs ultras. Qu’on ne se trompe pas. Beaucoup de nos puissants – à droite comme à gôche – ne l’ont pas choisi au hasard. Il est l’homme de main de l’ordre établi, son meilleur manche à air, pour parachever la conversion du pays au libéralisme total. 

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 14 février 2017.]

mercredi 8 février 2017

Hommage à Roger Walkowiak

L’ancien vainqueur du Tour de France 1956 s’est éteint, à l’âge de 89 ans. Voici un extrait de mon livre, « Tour de France, une belle histoire ? » (éditions Michel de Maule, 2008), où j’évoquait la figure du cycliste.

 
VERBATIM :
 
Et le monde ouvrier?, me direz-vous. Où se situe-t-il dans le ventre-mou de ce demi-siècle de reconstruction, bientôt appelé les Trente Glorieuses? Nous croyons trouver une réponse indirecte, en 1956. Le 11 juillet très exactement. L’étape du Tour, la septième, s’élance de Lorient et file vers Angers. Darrigade porte le paletot jaune, mais, allez savoir pourquoi, le peloton vagabonde plus que de nature. Bercé par le vent d’ouest, les leaders laissent se déployer une échappée anodine composée de 31 coureurs. Cette échappée fleuve, qui prend forme sur les bords de Loire, deviendra tout simplement l’une des plus célèbres de l’histoire.
 
L’avance se stabilise d’abord, aux alentours des 5 minutes après 160 kilomètres. Puis, en progressant vers la capitale d’Anjou, sans méfiance collective particulière, comme si le peloton n’était pas à une minute près au regard des étapes de montagne à venir, le temps s’écoule soudain moins lentement. Et puis dangereusement. A l’arrivée, le chronomètre indique près de 19 minutes de retard. Darrigade, Gaul, Bahamontes sont – temporairement pense-t-on – distancés. Et à qui le maillot jaune? A un inconnu? Pas vraiment: Roger Walkowiak.
 
Au départ de ce Tour (1), Walko n’était pas l’un des favoris mais entretenait déjà un certain mystère. A ses débuts, on le compare à Bobet, avec lequel d’ailleurs il rivalise fréquemment. Il fait partie d’une équipe régionale (le Nord-Est-Centre), il court sous les couleurs de la marque Géminiani/Saint-Raphaël, il compte sur son équipier Deledda, il a la sympathie des autres régionaux comme Lauredi et Dotto, il a une tête toute ronde, des cheveux bouclés… mais c’est un émotif invétéré, un «faible» pensent certains. C’est mal connaître ce fils d’immigré polonais (2), un ancien mineur venu s’installer dans le Bourbonnais. Jacques Goddet raconte: «Le soir, Walko pose son maillot jaune sur son lit et verse quelques larmes.»
 

lundi 6 février 2017

Légitime(s)

La France a besoin d’une rupture à gauche d’une ampleur sans précédent.
 
Rêve. Dans sa chronique hebdomadaire donnée à Libération, intitulée «Médiatiques», Daniel Schneidermann n’avait pas tort, cette semaine. «Un intrus s’est glissé sur les plateaux de la politique continue: le rêve. (…) Au début, l’éditocratie dominante, prise de court, ne se montre pas hostile. Comment pourrait-on s’opposer au rêve? (…) Mais voici que Hamon franchit en tête le premier tour de la primaire. Alors là, ce n’est plus drôle du tout. Rendez-nous nos cauchemars préférés, la dette et le terrorisme!» En quelques mots, tout est dit. Et plutôt bien vu. Même s’il conclut ainsi, comme un pied de nez qu’on ne saurait lui reprocher: «Ce n’est pas Bakounine, Hamon. Ce n’est pas Lénine. On ne sait pas s’il faut y croire, à son rêve. Peut-être qu’on sent bien, au fond, qu’il faudra se réveiller un jour.» Le moment politique actuel s’avère tellement imprévisible, à la limite d’une séquence pré-insurrectionnelle, pensent certains, que, dans un journal comme l’Humanité, Benoît Hamon nous intéresse, sans parler d’une partie de son discours «culturel», qui ne peut pas nous laisser indifférents. Il nous intéresse d’autant plus que son succès «dit» quelque chose qui n’a rien d’anecdotique, et qui, admettons-le, ne se mesure pas uniquement au nombre de voix. Comme l’a écrit Jean-Luc Mélenchon au lendemain du second tour de la primaire: «Le fait n’est donc plus la primaire mais ce qui s’exprime à travers elle.» Pour le signifier autrement, comment ne pas se réjouir de la volonté d’une partie de la gauche non seulement d’avoir sorti sans ménagement les sortants, responsables de la catastrophe du quinquennat, mais également d’avoir voulu, consciemment ou non, se ressourcer à gauche après une trop longue période d’égarement idéologique? D’ailleurs, à bien y réfléchir, le «rêve» a-t-il vraiment un rapport avec cette situation? Réenchanter la gauche, la vraie gauche, cela ne serait-il qu’un songe?