Les spécialistes l’affirment: avec les progrès des machines, 30% à 70% des emplois seront perdus d’ici trente ans.
Machines. Un matin vous vous réveillez dans un clair de jour en apparence ordinaire, un jour comme les autres que vous voudriez ne conjuguer qu’au présent, pourtant, à la faveur d’une information captée à la radio, vous découvrez que le futur vous a déjà arraisonnés – et avec lui ont resurgi quelques vieux fantasmes du temps de vos lectures d’adolescence que vous pensiez enfouies dans votre mémoire morte. «La robotisation des outils industriels pourrait détruire 3 millions de postes en France d’ici à 2025.» Peu de mots ont pénétré votre cerveau, mais beaucoup de conséquences s’y bousculent. «Au sein du marché de l’emploi français, 42% des métiers présentent une probabilité d’automatisation forte du fait de la numérisation de l’économie.» Voilà, c’est dit, et tous les récits d’anticipation qui ont nourri votre imagination apeurée trouvent soudain une traduction presque concrète, vérifiée par le journalisme officiel, accréditée par les économistes mondialisés, tandis que les faits avancés en cascade donnent le tournis, même si vous vous doutiez bien que les progrès de la numérisation de l’outil industriel auraient (fatalement?) des conséquences sur les métiers historiquement automatisables et la façon de travailler en usine.
«L’intelligence» robotique, qui n’est plus à démontrer, essaime dans tous les domaines. Contrairement à ce que nous pourrions croire, les emplois «manuels» et/ou «peu qualifiés», pour reprendre la novlangue habituelle, ne sont pas les seuls menacés à moyen et long termes. Les professions «intellectuelles» se trouveront elles aussi malmenées par les nouvelles facultés des robots. Deux exemples, cités par Libération, nous ont à la fois étonnés et, pourquoi le cacher, plutôt éblouis. Primo: le super-ordinateur d’IBM nommé Watson se serait révélé «plus efficace» dans la détection du cancer de la langue (90% de succès) que les oncologues eux-mêmes (50%), lors de tests menés aux États-Unis. Secundo: une psychologue virtuelle (vous avez bien lu) conçue à l’université de Californie nommée Ellie serait parvenue «à détecter des signes infimes de dépression en analysant les expressions du visage et l’intonation de la voix de ses patients». Donc, bien des secteurs d’activité peuvent être concernés par cette irrépressible évolution venue du fond des âges de nos cerveaux pensants.
Ère. Mais à quoi assisterions-nous précisément? À un retournement de l’histoire qui nous verrait demain, après-demain, manifester massivement contre les machines pour éviter qu’elles nous mettent tous au chômage? Ou au rêve préfigurant une société futuriste dans laquelle les tâches les plus ingrates seraient livrées à des machines pour alléger la peine des êtres humains? Comme souvent, la réalité devrait se situer à mi-chemin. Des emplois risquent d’être massivement détruits, quand d’autres, grâce à ces développements inouïs, pourraient être créés. Assez pour compenser le différentiel? Difficile à croire par temps de capitalisme aveugle. Pour Bernard Stiegler, philosophe et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou, notre raisonnement doit cheminer entre pessimisme, lucidité et novation: «On parle de 30% à 50% d’emplois perdus dans les dix à vingt ans, avec une hypothèse extrême, pour les États-Unis, de 70% de postes disparus d’ici trente ans. Cela ne veut pas dire que les emplois salariés disparaîtront en totalité, mais qu’ils deviendront de plus en plus marginaux. Il faut anticiper les conséquences sociales aussi bien que macroéconomiques.» Bernard Stiegler en appelle à une «renaissance du travail» par l’instauration d’«une nouvelle économie politique» et une «économie contributive qui valorise la création de savoir social que permet la numérisation». En somme, un nouveau monde va franchir nos portes. Puisque la nécessité nous y oblige, l’entrée dans cette nouvelle ère sera-t-elle une chance pour tout réinventer?
Ère. Mais à quoi assisterions-nous précisément? À un retournement de l’histoire qui nous verrait demain, après-demain, manifester massivement contre les machines pour éviter qu’elles nous mettent tous au chômage? Ou au rêve préfigurant une société futuriste dans laquelle les tâches les plus ingrates seraient livrées à des machines pour alléger la peine des êtres humains? Comme souvent, la réalité devrait se situer à mi-chemin. Des emplois risquent d’être massivement détruits, quand d’autres, grâce à ces développements inouïs, pourraient être créés. Assez pour compenser le différentiel? Difficile à croire par temps de capitalisme aveugle. Pour Bernard Stiegler, philosophe et directeur de l’Institut de recherche et d’innovation du Centre Pompidou, notre raisonnement doit cheminer entre pessimisme, lucidité et novation: «On parle de 30% à 50% d’emplois perdus dans les dix à vingt ans, avec une hypothèse extrême, pour les États-Unis, de 70% de postes disparus d’ici trente ans. Cela ne veut pas dire que les emplois salariés disparaîtront en totalité, mais qu’ils deviendront de plus en plus marginaux. Il faut anticiper les conséquences sociales aussi bien que macroéconomiques.» Bernard Stiegler en appelle à une «renaissance du travail» par l’instauration d’«une nouvelle économie politique» et une «économie contributive qui valorise la création de savoir social que permet la numérisation». En somme, un nouveau monde va franchir nos portes. Puisque la nécessité nous y oblige, l’entrée dans cette nouvelle ère sera-t-elle une chance pour tout réinventer?
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 22 mai 2015.]
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