Rêve. «La victoire aux élections? Oui, tant mieux. Et puis après? Préparer un autre avenir, c’est aussi engager les leçons du passé.» C’était il y a trois ans, trois ans déjà. Le philosophe et médiologue Régis Debray publiait le tonitruant Rêverie de gauche (Flammarion) et prévenait ceux qui sav(ai)ent encore lire que rien de mécanique ne dicte l’action politique, surtout quand elle est structurée par les arrière-pensées de ceux qui prétendent la mettre en œuvre. Plus qu’une épreuve ou un plaisir, rouvrir ce magistral livre nous apparaissait aujourd’hui comme une envie, sinon une nécessité, en tant qu’illustration durable de ce qu’il convient parfois d’anticiper pour ne pas feindre l’étonnement. Les premières phrases de Régis Debray étaient les suivantes: «Les urnes sont des boîtes à double fond, électoral et funéraire; elles recueillent, avec un léger décalage, nos rêves et nos cendres.» Et les toutes dernières résonnaient telle une prophétie inversée: «Rêvasser n’est pas toujours délirer. Ce ne sont pas des chimères qui émergent de ces moments à la Jean-Jacques où “on laisse sa tête entièrement libre, et ses idées suivre leur pente sans résistance et sans gêne”, mais aussi des rappels, ou des espoirs, ou les deux. Et je continue de croire possible la présence au forum d’hommes et de femmes épris de justice, capables de rester fidèles à leur intégrité, leur langue, leur histoire et leur quant-à-soi – bref, à leur raison d’être.» Nous savons depuis ce qu’il est advenu du rêve un peu fou de croire en une gauche sociale-libérale si peu fidèle à son histoire et si peu intègre avec ses manières de nouvelle riche qu’elle a bazardées aussi vite qu’annoncées les rares promesses «sociales» consenties le temps d’un discours resté célèbre, hélas, pour ce qu’il laissait croire et non ce qu’il disait…
Dérive. Ainsi faudrait-il se résigner à mesurer l’écart des actions publiques entre ce que nous voulons (à condition de vouloir quelque chose de sacré) et ce que nous pouvons, entre le but visé (sauf à ne pas s’en fixer vraiment) et le but atteint, comme si le temps déviait nécessairement toutes les trajectoires… Depuis mai 2012 et l’élection de Normal 1er, environ 100.000 socialistes ont déserté le PS. Selon certaines sources, il n’y aurait même plus que 60.000 adhérents à jour de leurs cotisations. Ébranlés par l’orientation libérale de l’exécutif, les militants et un grand nombre d’élus locaux – pour ce qu’il en reste(ra) – affichent une grande lucidité et désespèrent d’assister à l’émergence d’un néo-rooseveltisme pouvant encore sauver l’honneur. Eux savent qu’il ne sera plus envisageable de refaire le coup de 2012: ne gagner qu’avec une posture de gauche. L’escroquerie est démasquée. Le cœur des abstentionnistes, constitué pour beaucoup d’électeurs socialistes, est désormais orphelin. Et comment Valls entend-il répondre à cette errance? En misant sur le libéralisme assumé, en lorgnant sur la droite de l’échiquier politique. Or pour gagner au centre, il lui manque une structure politique d’un type «blairiste» non négociable. Pour comprendre le cheminement, souvenons-nous du péché originel que constitua la commande par Normal 1er du rapport Gallois, immédiatement suivi du tournant vers «l’offre» et la rigueur, adossé aux critères de la Commission européenne. La nomination de Valls, qui n’avait obtenu que 5% des suffrages lors de la primaire, n’était qu’une suite logique. Leur prochaine étape? Rayer le mot «socialiste» et créer un parti démocrate, peu importe qu’il soit à l’italienne ou à l’américaine. La dérive aussi stupide qu’affligeante semble programmée. D’un côté l’UMP transformée en parti «Républicains». De l’autre un PS virant parti «démocrate».
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 17 avril 2015.]
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