La séquence électorale laisse les citoyens incapables d’entrevoir le récit d’une France meilleure.
Droitisation. Prisonniers de nos solitudes par temps de crises (le pluriel a son importance), nous aspirons au recul utile, comme aspirés par la tâche ingrate de cette recherche du bonheur collectif en fuite, avec au creux du ventre, tenace et traitresse, la crainte de nous retrouver noyés dans une nuit plus profonde encore. Ce recul nécessaire, comme courage d’affronter l’absolu en nous arrachant du monde familier et des commentaires éculés, pour reprendre souffle, force et vigueur, après une séquence électorale qui laisse les citoyens de ce pays un peu groggys et surtout incapables d’entrevoir le récit d’une France meilleure. La page blanche d’une République à réinventer de fond en comble, en somme. Pessimiste en diable, le sociologue et éditeur Jean Viard écrivait la semaine dernière dans Libé le commentaire suivant: «Les vrais vainqueurs, ce sont les Français sans utopie, tristes de leur futur, déçus de leurs rêves. Certains sont allés voter pour faire barrage au FN, à droite ou à gauche. Certains même votent FN par désespoir. C’est ceux-là qu’il faut écouter. Ils sont en deuil du rêve révolutionnaire de leurs parents de 68, ou du rêve gaulliste.» Beaucoup d’analystes le pensent: le scrutin départemental aurait renforcé le processus d’extrême droitisation de la vie politique française. Exemples: la percée du Front nationaliste sur l’ensemble de nos territoires; mais aussi l’hystérisation des propos anti-islam de Nicoléon durant les meetings (cantines scolaires, voile, etc.), qui ressemblaient de plus en plus à une nouvelle campagne buissonniène. Sans parler du climat général lui-même, qui infuse jour après jour, mois après mois, année après année, dans un néoconservatisme très maurassien, avec ses relents xénophobes, sexistes, homophobes, plus proche d’un travail-famille-patrie que de liberté-égalité-fraternité, avec ses pôles islamophobe (Zemmour) et antisémite (Soral).
Si nous ajoutons à ce constat éloquent la place prépondérante prise par les abstentionnistes de gauche, une question s’impose d’elle-même: que deviennent les aspirations à la justice sociale, plus grandes et diversifiées que jamais? Jean Viard est formel: «Depuis l’effondrement de l’URSS, droite et gauche officielles n’ont pas su repenser leurs visions du monde et leurs projets. (…) L’ultralibéralisme a alors triomphé. Et des pensées réactionnaires sont arrivées à tenir le haut du pavé autour de l’idée d’identité, nationale ou religieuse; sans doute parce qu’ouvrir le monde sans inventer un nouveau récit commun était invivable.»
Reptilien. Devons-nous prendre l’affaire au sérieux ou penser que l’exagération nuit à la démonstration? Pour le sociologue post-bourdieusien Philippe Corcuff, toujours dans Libé, l’aimantation du débat politique par l’extrême droite, un temps freiné, a non seulement repris depuis son cours mais, «sous l’effet de cette tendance, le social-libéralisme a été affecté par un virus mutant associant logique néolibérale et néoconservatisme soft», dont Manuel Valls en constitue l’un des «principaux bricoleurs politiciens, davantage marionnette de l’air du temps et d’appétits de carrière qu’idéologue». Pas idéologue, Valls? A voir. Précisons que Corcuff va plus loin dans la dénonciation: «Dans un polar américain, le coroner diagnostiquerait devant un flic désabusé un début de rigidité cadavérique porteur d’un risque d’épidémie néocons.» Pendant ce temps-là, le peuple, perdu, s’abstient ou vote de manière intempestive, en réaction, en colère, par pulsion, aliénation. Jean Viard n’a pas tort de dire que le vote Front nationaliste ressemble à s’y méprendre – disons dans la plupart des cas – à un acte de désespoir. Parfois même à un vote reptilien.
Si nous ajoutons à ce constat éloquent la place prépondérante prise par les abstentionnistes de gauche, une question s’impose d’elle-même: que deviennent les aspirations à la justice sociale, plus grandes et diversifiées que jamais? Jean Viard est formel: «Depuis l’effondrement de l’URSS, droite et gauche officielles n’ont pas su repenser leurs visions du monde et leurs projets. (…) L’ultralibéralisme a alors triomphé. Et des pensées réactionnaires sont arrivées à tenir le haut du pavé autour de l’idée d’identité, nationale ou religieuse; sans doute parce qu’ouvrir le monde sans inventer un nouveau récit commun était invivable.»
Reptilien. Devons-nous prendre l’affaire au sérieux ou penser que l’exagération nuit à la démonstration? Pour le sociologue post-bourdieusien Philippe Corcuff, toujours dans Libé, l’aimantation du débat politique par l’extrême droite, un temps freiné, a non seulement repris depuis son cours mais, «sous l’effet de cette tendance, le social-libéralisme a été affecté par un virus mutant associant logique néolibérale et néoconservatisme soft», dont Manuel Valls en constitue l’un des «principaux bricoleurs politiciens, davantage marionnette de l’air du temps et d’appétits de carrière qu’idéologue». Pas idéologue, Valls? A voir. Précisons que Corcuff va plus loin dans la dénonciation: «Dans un polar américain, le coroner diagnostiquerait devant un flic désabusé un début de rigidité cadavérique porteur d’un risque d’épidémie néocons.» Pendant ce temps-là, le peuple, perdu, s’abstient ou vote de manière intempestive, en réaction, en colère, par pulsion, aliénation. Jean Viard n’a pas tort de dire que le vote Front nationaliste ressemble à s’y méprendre – disons dans la plupart des cas – à un acte de désespoir. Parfois même à un vote reptilien.
[BLOC-NOTES publié dans l’Humanité du 10 avril 2015.]
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