«Le corps social perd tout doucement son lendemain.» Cette terrible formule de Paul Valéry concernait le royaume de France au temps de Montesquieu, avant 1789. Nous ne la choisissons pas au hasard pour évoquer l’ici-et-maintenant d’une actualité sociale épouvantable. Bien sûr, nous ne sommes probablement pas à la veille d’une révolution. Mais où en sommes-nous avec «notre lendemain»? Depuis hier, comme si le franchissement des caps symboliques servait à une prise de conscience plus collective qu’individuelle, les Français s’interrogent sur leur avenir en regardant, effarés, le taux de chômage officiel : la barre des trois millions vient d’être franchie. Un seuil plafond que la France n’avait pas atteint depuis bientôt vingt ans. Et encore, gardons-nous des comparatifs hasardeux, puisque seules certaines catégories de chômeurs sont désormais comptabilisées dans les statistiques certifiées conformes. Exit les chômeurs ayant exercé une activité réduite courte, un temps partiel, des stages, des formations, etc. Le vrai chiffre des sans-emploi en âge de travailler dépasse sûrement la barre des cinq millions, peut-être plus…
Et Michel Sapin? Le ministre du Travail n’en démord pas. «Inverser la courbe du chômage à la fin de l’année 2013» serait «un objectif de mobilisation, un objectif qui paraît atteignable». Cette forme singulière d’optimisme ne nous trompe pas. Fin 2013: c’est dans quinze mois! Autrement dit, M. Sapin nous annonce comme un fait acquis que le désastre social, non seulement ne s’arrêtera pas, mais risque de s’aggraver.
Dans ce moment décisif, d’une gravité rarement connue dans notre histoire contemporaine, les salariés ne peuvent manifestement pas compter sur l’appui du gouvernement. Par temps de crise, pour affronter avec courage une situation d’urgence, seules des réponses d’urgence correspondent au courage. Comprenons-nous bien. Face à de telles vagues de licenciements, un gouvernement de gauche ferait mieux de légiférer que de vouloir rassurer le monde de la finance. En juin dernier, Arnaud Montebourg ne déclarait-il pas: «Nous souhaitons des mesures législatives de manière à limiter les plans sociaux abusifs»? Où sont les mesures anti-licenciements? Et le moratoire sur les restructurations engagées? Et la stratégie industrielle globale?
La passivité de François Hollande donne des indications inquiétantes. Comme si le chef de l’État portait déjà la responsabilité de laisser le sens de l’histoire de notre pays – celle qui a toujours progressé de générations en générations – suspendu au fil d’un temps que, pour l’instant, il ne cherche même plus à maîtriser. Si tel était le cas, ce serait plus grave qu’un simple revirement lié aux circonstances, mais bien la preuve de l’incapacité des sociaux-libéraux européens à imaginer d’autres règles économiques et sociales que celles en vigueur. Le 6 mai dernier, les Français n’ont pas voté pour le chômage de masse, l’austérité et le renoncement!
Pourtant, tout craque. Alors que les peuples européens vivent une véritable overdose d’austérité, et tandis que le président français assume le choix de la rigueur immédiate et de longue durée, au risque de pousser le pays dans la récession, le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, a lancé un pavé dans la mare en jugeant «intenable» l’objectif du déficit budgétaire ramené à 3% sans courir le risque de casser la croissance et de massacrer l’emploi. Si le traité budgétaire européen était adopté, le désastre pourrait en effet tourner à l’hécatombe austéritaire. Décidément, l’agenda social de François Hollande n’est toujours pas à la bonne page.
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 27 septembre 2012.]
1 commentaire:
Langage de vérité : quel pied !!!
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