Chapitre. Curieux mélange. Une franche émotion et une certaine froideur. L’émotion: celle d’avoir dégagé le sortant, l’une des conditions indispensables pour ouvrir une brèche dans l’ordo-libéralisme européen, pour nous réoxygéner, bref, pour repenser l’à-venir de la gauche avec apaisement, sur de nouvelles bases. La froideur: celle d’un espoir mesuré qu’il convient de ne pas taire à l’heure où un socialiste revient à l’Élysée, pleinement habité par le cadre des institutions de la Ve République. Pour le dire autrement. Notre immense joie d’avoir mis Nicoléon à terre est quelque peu atténuée, dans des marges qui ne sont pas si faibles, par le profil politique du nouvel élu dont le recentrage est une seconde nature. Cher lecteurs, rassurez-vous néanmoins. Le bloc-noteur, qui n’oublie pas que les Français ont plus dit «au revoir» au passé que «vive le programme du PS», n’a pas boudé son plaisir devant cette page que le peuple français a décidé de tourner. Les nouveaux chapitres sont toujours fascinants, en tant qu’ils portent nécessairement cette part d’inconnue qui permet à l’espoir de vivre. Vous aussi, vous avez eu chaud au cœur sans pourtant sombrer dans l’illusion lyrique observée en mai 81? Tant mieux. La lucidité ne nuira en rien, cette fois, au travail qu’il reste à accomplir pour la gauche de transformation.
Record. Attention toutefois aux fausses pistes interprétatives. Au prétexte que le rejet de Nicoléon a été prépondérant dans le résultat de cette élection, il faudrait minimiser l’ampleur des revendications populaires au moment du changement. Ne nous y trompons pas: ce qui est sorti des urnes est autant le «ouf» de soulagement exprimé place de la Bastille par les «Sarkozy, c’est fini!», que l’attente d’une gauche qui réponde (enfin) aux défis de la période dans un contexte historiquement nouveau.
Disons-le sans détour: cette gauche qui émergera du Parlement se trouve d’ores et déjà devant l’impérieuse nécessité de réussir une politique radicalement différente. Après le second tour, la gauche possède un atout mais au moins un handicap. L’atout? Sans les quatre millions de voix du Front de gauche, jamais Hollande n’aurait atteint la magistrature suprême ; dès lors, comment pourrait-il assumer une autre ligne que celle franchement de gauche, sans risquer de s’aliéner la part du peuple la plus exigeante. Le handicap? Il prend la forme d’un chiffre, et non des moindres, qui semble échapper à la plupart des expertologues: celui de l’accroissement du vote blanc et nul lors de ce second tour. Ce chiffre, auquel on ne prête traditionnellement que peu d’attention, a ni plus ni moins triplé depuis le 22 avril dernier, passant de 1,5% à 4,6% des électeurs inscrits, soit 2.146.405 voix! Pour nuancer la démonstration qui suit, certains feront remarquer que ce vote blanc ou nul pesait déjà 3,5% des inscrits en 2007.
Seulement voilà, il y a cinq ans, le différentiel était bien plus élevé entre les deux finalistes: Nicoléon, 53,06% des suffrages, soit 18.983.138 voix; Royal, 46,94%, soit 16.790.440 voix ; blancs et nuls, 3,53%, soit 1.568.426 voix. Contrairement à 2012, le vote «blanc» et «nul» était donc inférieur à l’écart final entre les deux candidats. En 2007, Nicoléon avait en effet obtenu 53,06% des voix, soit 50,84% des votants. En 2012, Hollande a obtenu 51,6% des voix, mais seulement 48,6% des votants… Faut-il ainsi évoquer une «victoire serrée», comme certains l’affirment? Et cela donne-t-il du crédit à l’éventuelle volonté de recentrage du nouveau président, façon «union nationale», comme l’a suggérée avec opportunisme François Bayrou? Seul le résultat des législatives répondra à cette question. Plus les députés du Front de gauche seront nombreux, plus l’incongruité de cette question apparaîtra aux yeux de tous!
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 11 mai 2012.]
1 commentaire:
Admirable mise en perspective, admirable prise de distance. Merci.
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