Entre le travail et le capital, le casse du siècle.
Valeur. Vous connaissez la formule: travailler plus et plus longtemps, pour gagner plus? Toujours sous forme de question, le bloc-noteur pourrait tourner autrement la problématique: travailler plus et plus longtemps, mais pour gaver qui? Mac Macron II veut donc obliger les Français à trimer deux années supplémentaires, au nom d’un sacro-saint argument : les finances publiques, «la dette», soit le plus traditionnel des arguments de la droite libérale afin de justifier tous les dispositifs austéritaires qui ont mis en coupe réglée les droits des travailleurs, les hôpitaux, les écoles, les services publics, etc. Y croyez-vous encore, à ces mensonges éhontés? Dès lors, où se trouve ce «pognon de dingue» qui glisse entre les doigts des citoyens, sans même qu’ils ne le sachent?
Silence. Il est un sujet dont personne – ou presque – ne parle, celui d’un des casses du siècle les plus monumentaux, puisqu’il représente quelque 300 milliards d’euros! En effet, en quatre décennies, un braquage s’est opéré dans un silence assourdissant et néanmoins bien connu des plus éminents éditocrates pseudo-économistes. Lisez bien: 10% de la valeur ajoutée sont passés du travail au capital en France. En somme, la part revenant aux salariés a chuté progressivement dans le pays. Selon l’Insee, elle était de 75% au début des années 1980, elle stagne désormais autour de 65%. Sachant que le PIB national représente 3000 milliards d’euros (à peu près), ces 10 points de pourcentage d’écart représentent ainsi un incroyable magot qu’il n’est pas inutile de répéter à souhait: 300 milliards d’euros! N’importe quel spécialiste un peu sérieux vous le dirait, la répartition de la valeur ajoutée entre le capital et le travail constitue un enjeu économique et politique fondamental. D’où l’omerta.
Coût. En épluchant les notes de l’Insee attentivement, il existe un point aveugle tout aussi assourdissant, conséquence directe de ce qui vient d’être écrit. Si la part des salaires a baissé massivement dans la valeur ajoutée, comme nous venons de le comprendre, il se trouve que la part des super-profits, elle, a littéralement explosé. Comme vous le savez, Total, LVMH, BNP et consorts (liste longue) affichent des résultats en dizaines de milliards de bénéfices. Or, ces magots ont transité directement du travail au capital. L’Insee l’affirme: dans les années 1980, un salarié français travaillait en moyenne 9 jours par an pour payer les dividendes des actionnaires. C’était déjà énorme. Mais accrochez-vous bien. En 2022, un salarié a travaillé en moyenne 54 jours pour les actionnaires… Du délire, ni plus ni moins, sachant par ailleurs que 157 milliards d’euros d’argent public sont déversés chaque année dans les caisses des grandes entreprises, sans aucune contrepartie. À longueur d’antenne, vous entendez parler du «coût du travail», des «taxes», ou du fait que «les riches vont se barrer» et qu’il n’y a «pas d’argent magique». N’en jetez plus. Évoque-t-on assez le coût du capital? De ses conséquences sur le travail? Au passage, voici une autre statistique éloquente: au sein de l’Union européenne, la part des dividendes dans la valeur ajoutée a augmenté logiquement de 13 points dans la même période. Sans commentaire…
Fortunés. Et pendant ce temps-là? Un peu de mémoire. Souvenons-nous que l’une des mesures phares de Mac Macron I en 2017 fut le remplacement de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qui taxait quasiment tous les biens, y compris le patrimoine professionnel et les placements, par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI). Ce dernier ne porte que sur les bâtiments et les terrains à usage personnel, et il ne taxe ni les œuvres d’art ni les bateaux de plaisance. Cinq ans après sa mise en place, l’IFI progresse puisque, en 2022, le nombre d’assujettis (ce qui suppose de posséder des propriétés d’une valeur supérieure à 1,3 million d’euros) a grimpé de 7,3% pour atteindre les 164000 contribuables. Ajoutons que la valeur des biens que possèdent les propriétaires fortunés a, elle, progressé plus vite que leur nombre, à 405 milliards d’euros (+8,6%). L’IFI rapporte à l’État un peu plus d’un milliard par an. Bien loin des 5 milliards de l’ancien ISF…
[BLOC-NOTES
publié dans l’Humanité du 5 mai 2023.]