Si vous suivez le Tour depuis des décennies à la télévision, ou, mieux, par la lecture assidu des lettrés du vélo, vous avez sans doute remarqué ce décalage mortel qui a fini par se creuser entre les coureurs, mutés en figurines de jeux-vidéos, et le public fidèle à l’heure de célébrer sur le bord de la route la mémoire de sa propre histoire. C’est ainsi. Et même moi je dois me rendre à l’évidence : le Tour s’est défait peu à peu de son caractère onirique et poétique, pour se convertir en machine à spectacle où, chaque jour en mondiovision, on peut lire l’essence générale du sport : un modèle réduit du capitalisme. Mieux : un catéchisme capitaliste, une messe mercantile !
Le Tour, à l’image du sport en général, a été comme raflé par les apôtres et les affairistes du néo-libéralisme le plus échevelé. Dès lors, au lieu d’être la capricieuse fable de nos contes d’antan (le cyclisme poétique de Vietto, de Coppi et d’Anquetil) et quand même le fidèle reflet de notre époque (le cyclisme poïélitique de Barthes et avec lui les Merckx, Hinault et Fignon), le Tour de France a été, dès la fin des années quatre-vingt-dix, une espèce de prémonition assez cauchemardesque du monde promis, de la cité future, de notre universel mental à-venir. Fini l’utopie d’émancipation, bienvenue au rêve libéral : celui d’un modèle non-politique (en apparence), mais violent et asocial, de société.
Et Armstrong dans tout ça ? Le braquage de « l’esprit » philosophique auquel il s’est employé et s’emploie encore (plus en nuances) a versé le Tour de l’espace du mythe dans celui d’un « American way of life » revisité pour les besoins de l’époque : capter le temps de notre attention pour mettre nos comportements au service de la consommation. Entre nous : quoi de mieux, en apparence, que de consommer ? Et quoi de plus sympathique de rêver au destin d’un Armstrong ?
Donc, gangrenés que nous sommes par la marchandisation – qui n’épargne aucun secteur pas même la littérature – inutile de réveiller les Blondin, Nucéra et autres Buzzati. Laissons-les en paix, loin des vulgaires processions capitalistes. Tandis que le libre échange se donne à plein régime, le cyclisme, monde fermé sur lui-même, a longtemps continué à vivre en vase clos, exaltant plus que jamais, dans les exhalaisons survitaminés, les valeurs de la sélection naturelle des plus forts, et de l’intimidation mafieuse.
Ne peut-on reconnaître ainsi une forme d’organisation humaine dans laquelle le lien social serait exclusivement tissé par la lutte impitoyable des hommes les uns contre les autres, protecteurs de leurs biens sans jamais se soucier de l’intérêt général ? Bref, une mercantilisation de tous les rapports sociaux, eux-aussi.
Posez-vous la question : l’omerta qui règne encore de nos jours dans le cyclisme malgré les apparences, est-elle le signe d’un milieu uniquement mafieux ou l’indice d’une règle capitalistique ? Le modèle Armstrong, même revisité soi-disant pour des raisons humanitaires, nous éclaire : son exigence de crédibilité n’est qu’une condition subjective de la confiance commerciale qui repose sur ses épaules. Vous en doutez ?
A plus tard…
2 commentaires:
On trouve même de troublantes similitudes dans les attitudes d'un Sarkozy et celles d'Armstrong : une arrogance sans pareil, un culot monstre, et une personnalité si forte qu'elle muselle les velléités de quiconque voudrait dénoncer quelque mauvaise action... Le plus simple est alors de leur obéir et d'aller à la soupe...
Merci pour ces commentaires qui nous font vivre le Tour autrement.
Bonnes étapes...
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