mardi 31 janvier 2012
Déculturation(s) : Nicoléon, à la hauteur de sa médiocrité...
«Culture pour chacun» versus «culture pour tous»? Ou l’affaissement programmé de la culture, de haut en bas de la République...
Excellence. Nos prophètes de légende, loin, comme nous autres, de rester le nez collé à l’événement, se plaisaient à sublimer le malheur passé et/ou à venir par le merveilleux et l’étalement du mystère dans le temps… «La disparition des arrière-mondes et des longues durées, jointe à la baisse des facultés imaginatives» (Régis Debray), sans parler de la méconnaissance des histoire et géographie locales, donnent aux récipiendaires médiacratiques des airs tragiques. Se placer dans l’espace-temps, avec l’épaisseur historique qui sied à sa grandeur, n’est plus une volonté et encore moins une vocation. Face aux vents de l’époque, quel littérateur républicain-de-la-sociale ne vacillerait pas, frappé, harassé, tétanisé, meurtri et parfois floué, voire vaincu, par la déculturation ambiante ? Devant un pouvoir politique décomplexé qui s’emploie à minimiser l’excellence singulière, au profit (en euros) de l’uniformisation et de la banalité, qui résisterait ? Nous ? Vous ? Le monde de la culture ? Mais qui d’autre, sinon ?
Vœux. Personne n’y a vraiment prêté attention, mais le règne de Nicoléon aura été aussi mortifère pour la culture que pour le reste. Mercredi 24 janvier, le prince-président présentait d’ailleurs ses vœux aux artistes et aux professionnels de la profession. Il a lâché cette phrase en forme d’aveu : «Plus on va à la culture, plus on a envie d’y retourner.» Notez au passage l’excellence du vocabulaire. Mais chacun ne fait jamais que ce qu’il peut – et c’est le cas de le dire.
vendredi 27 janvier 2012
Dynamique du Front de Gauche: la faute à Rousseau...
Comment ne pas voir la «contamination idéologique», comme le dit Mélenchon, des idées du Front de gauche ? Et comment ne pas s'en réjouir ?
«Peuples libres, souvenez-vous de cette maxime : on peut acquérir la liberté, mais on ne la recouvre jamais.» Jean-Jacques Rousseau, plus inspirateur que jamais. Comme si du fond de son Panthéon balayé par les courants de l’air du temps, alors que la France commence à fêter le tricentenaire de sa naissance, il nous rappelait à nos obligations d’héritiers des Lumières. À partir de quand un symbole est-il socialement efficace, opératoire, moteur ? Hier, le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a apporté l’une des plus éclatantes réponses à ce mystère. L’hommage très «actuel» qu’il a rendu à l’auteur du Contrat social, d’abord au Sénat, puis place «des grands hommes», s’est ancré dans l’imaginaire collectif de la gauche et dans la trace matricielle du grand récit de la «France qui souffre». Pierre Laurent a mis dans le mille. Une démocratie est-elle encore assez vivante et moderne lorsqu’elle n’est plus au service du peuple ?
Nicolas Sarkozy a-t-il seulement lu une page des Confessions ou des Rêveries ? Nous savons qu’avec lui (et son scribe Guaino) un apologue opportuniste vaut tous les symboles. Depuis cinq ans, il a fait lui-même «son marché» auprès d’une kyrielle de distributeurs de marqueurs historiques qu’il a tirés à hue et à dia, déformant jusqu’à l’absurde tous les pôles représentatifs d’agglutination, décontextualisant tout sur son passage, les figures, les signes et le sens.
«Peuples libres, souvenez-vous de cette maxime : on peut acquérir la liberté, mais on ne la recouvre jamais.» Jean-Jacques Rousseau, plus inspirateur que jamais. Comme si du fond de son Panthéon balayé par les courants de l’air du temps, alors que la France commence à fêter le tricentenaire de sa naissance, il nous rappelait à nos obligations d’héritiers des Lumières. À partir de quand un symbole est-il socialement efficace, opératoire, moteur ? Hier, le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a apporté l’une des plus éclatantes réponses à ce mystère. L’hommage très «actuel» qu’il a rendu à l’auteur du Contrat social, d’abord au Sénat, puis place «des grands hommes», s’est ancré dans l’imaginaire collectif de la gauche et dans la trace matricielle du grand récit de la «France qui souffre». Pierre Laurent a mis dans le mille. Une démocratie est-elle encore assez vivante et moderne lorsqu’elle n’est plus au service du peuple ?
Nicolas Sarkozy a-t-il seulement lu une page des Confessions ou des Rêveries ? Nous savons qu’avec lui (et son scribe Guaino) un apologue opportuniste vaut tous les symboles. Depuis cinq ans, il a fait lui-même «son marché» auprès d’une kyrielle de distributeurs de marqueurs historiques qu’il a tirés à hue et à dia, déformant jusqu’à l’absurde tous les pôles représentatifs d’agglutination, décontextualisant tout sur son passage, les figures, les signes et le sens.
mercredi 25 janvier 2012
Extrême(s) : pourquoi Marine Le Pen est plus dangereuse que papa-nous-voilà...
La banalisation version Nicoléon a fertilisé un terreau déjà favorable. Et quand l’extrême droite se met à parler de social, le danger lui aussi devient extrême...
Naïveté. «L’avenir à chaque instant presse le présent d'être un souvenir.» Pourquoi Aragon encore et toujours. Pour combler nos fringales de grand large. Pour déconstruire l’actu alitée sous perfusion. Pour le cosmos intellectuel de l’infiniment-nous et le jeu des particules de l’infiniment-grand. Pour que nos petits matins frileux cessent de disséquer ces lambeaux de conscience étourdie par le silence mélancolique. Un chemin entre nostalgie et espoir ? À condition de ne pas sombrer dans la naïveté. Or, quelles seraient les deux plus effrayantes naïvetés politiques du moment ? Primo : croire que Marine Le Pen puisse renverser la table de l’élection, singeant voire dépassant papa-nous-voilà un certain 21 avril. Secundo : imaginer que ladite Le Pen ne soit pas une réelle menace… Concilier cette contradiction, sans sombrer dans le catastrophisme, relève de l’exercice de style. Et du combat ! Le chronicœur l’a souvent écrit : l’atomisation sociale, sous les effets mortifères de la crise, de la paupérisation et d’une espèce de «no futur» nihiliste et consumériste qui s’empare des nouvelles générations, peut produire le meilleur comme le pire. Ni l’un ni l’autre, pour l’heure, ne semble à portée de main. Mais quelques statistiques objectives nous glacent d’effroi. Car les sondages se montrent têtus ces temps-ci. Selon les toutes dernières enquêtes (sérieuses), l’adhésion aux «idées» du FN dans l’opinion publique n’a jamais été aussi élevée : environ 30%. En complément, notons que le rejet catégorique de ces «idées» n’a jamais été aussi faible : environ 35%. Tous les indicateurs signalent donc que, depuis qu’elle a pris la succession de droit divin du paternel, voilà un an, Marine Le Pen a offert à l’extrême droite un changement d’allure (la vitesse, pas la silhouette) et une stature plus sournoisement et adroitement charpentée…
Naïveté. «L’avenir à chaque instant presse le présent d'être un souvenir.» Pourquoi Aragon encore et toujours. Pour combler nos fringales de grand large. Pour déconstruire l’actu alitée sous perfusion. Pour le cosmos intellectuel de l’infiniment-nous et le jeu des particules de l’infiniment-grand. Pour que nos petits matins frileux cessent de disséquer ces lambeaux de conscience étourdie par le silence mélancolique. Un chemin entre nostalgie et espoir ? À condition de ne pas sombrer dans la naïveté. Or, quelles seraient les deux plus effrayantes naïvetés politiques du moment ? Primo : croire que Marine Le Pen puisse renverser la table de l’élection, singeant voire dépassant papa-nous-voilà un certain 21 avril. Secundo : imaginer que ladite Le Pen ne soit pas une réelle menace… Concilier cette contradiction, sans sombrer dans le catastrophisme, relève de l’exercice de style. Et du combat ! Le chronicœur l’a souvent écrit : l’atomisation sociale, sous les effets mortifères de la crise, de la paupérisation et d’une espèce de «no futur» nihiliste et consumériste qui s’empare des nouvelles générations, peut produire le meilleur comme le pire. Ni l’un ni l’autre, pour l’heure, ne semble à portée de main. Mais quelques statistiques objectives nous glacent d’effroi. Car les sondages se montrent têtus ces temps-ci. Selon les toutes dernières enquêtes (sérieuses), l’adhésion aux «idées» du FN dans l’opinion publique n’a jamais été aussi élevée : environ 30%. En complément, notons que le rejet catégorique de ces «idées» n’a jamais été aussi faible : environ 35%. Tous les indicateurs signalent donc que, depuis qu’elle a pris la succession de droit divin du paternel, voilà un an, Marine Le Pen a offert à l’extrême droite un changement d’allure (la vitesse, pas la silhouette) et une stature plus sournoisement et adroitement charpentée…
lundi 23 janvier 2012
Héritage(s) : nous autres, enfants de Pierre Bourdieu...
Il y a tout juste dix ans s'éteignait « l’intellectuel critique ». Son oeuvre dérange encore aujourd'hui. Tant mieux !
De quoi l’œuvre de Pierre Bourdieu est-elle le nom? Comme ligne directrice, le sociologue empruntait à Spinoza : «Ne pas déplorer, ne pas rire, ne pas détester, mais comprendre…» De quoi son héritage intellectuel est-il le signe ? Le professeur au Collège de France évoquait «la pression ou l’oppression, continues et souvent inaperçues, imposées par les conditions matérielles d’existence», et il mettait à nu ce qu’il nommait «violence symbolique», comme pour nous rappeler nos devoirs à l’action, mais que, si urgente soit-elle, celle-ci ne saurait se passer de l’effort théorique et de l’analyse des mécanismes de domination… Domination : le maître mot…
Mon dieu, dix ans déjà que Pierre Bourdieu nous a quittés. Et nous puisons comme hier à la source de «l’intellectuel critique» – dont il assumait toutes les acceptions – pour déconstruire le discours dominant et permettre la production d’utopies réalistes. Une question s’impose : l’injonction politique et l’engagement total sont-ils victimes de notre temps ? Méfions-nous en effet de la tentation – pourtant impossible – de domestication de l’Idée et des concepts bourdieusiens. Bourdieu n’était pas inoffensif et il serait vain de tenter une neutralisation de son œuvre en ne l’interprétant que comme une soumission aux déterminismes sociaux. Sa radicalité intrusive en aura exaspéré plus d’un ? Précisément. Cette radicalité d’homme libre, portée au plus haut degré de l’intelligence, nous manque. Les «gestionnaires», de gauche comme de droite, n’aimaient pas Pierre Bourdieu. Dix ans après sa mort, l’histoire a tranché.
LIRE EGALEMENT SUR LE SITE DE L'HUMANITE : contributions
(A plus tard...)
De quoi l’œuvre de Pierre Bourdieu est-elle le nom? Comme ligne directrice, le sociologue empruntait à Spinoza : «Ne pas déplorer, ne pas rire, ne pas détester, mais comprendre…» De quoi son héritage intellectuel est-il le signe ? Le professeur au Collège de France évoquait «la pression ou l’oppression, continues et souvent inaperçues, imposées par les conditions matérielles d’existence», et il mettait à nu ce qu’il nommait «violence symbolique», comme pour nous rappeler nos devoirs à l’action, mais que, si urgente soit-elle, celle-ci ne saurait se passer de l’effort théorique et de l’analyse des mécanismes de domination… Domination : le maître mot…
Pierre Bourdieu (à gauche) avec Jacques Derrida. |
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 23 janvier 2012,
dans le cadre d'un numéro spécial consacré à Pierre Bourdieu.]
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(A plus tard...)
vendredi 20 janvier 2012
Contre le triple A, le triple R !!!
Face à Sarkozy et le monde de la finance ? Résister. Rassembler. Réussir.
En termes de représentation symbolique et effective, jamais sans doute dans notre histoire récente des représentants syndicaux ne se sont rendus à ce point à reculons à un sommet dit «social». Preuve du climat de confiance à l’égard du pouvoir et plus globalement de la perception de son intentionnalité… Devant le cliquetis des aiguilles de l’histoire qui détraquent notre temps social universel, comment, en toute conscience, s’en étonner ? Censément, la convocation imposée par le chef de l’État avait pour ordre du jour d’établir «des mesures d’urgence de lutte contre le chômage». Et puis, comme souvent avec le ventilateur de l’Élysée, un coup tactique soufflant sur un autre, l’idée de ne pas attendre et de pousser l’avantage des contre-réformes à la faveur d’une actualité anxiogène – la perte du triple A – a été privilégiée. Nicolas Sarkozy a beau être un ordo-libéraliste de première, il n’en est pas moins lâchement opportuniste.
Les syndicalistes ont de quoi montrer leurs inquiétudes. Car ce mercredi risque de compter dans l’histoire des tragédies anti-République sociale. Le prince-président va en effet vouloir passer en force et imposer ce qu’il nomme improprement «réformes structurelles». D’abord exiger la mise en place de la TVA dite «sociale», bref une modification radicale du financement de la protection sociale. Et offrir – lisez bien – la possibilité aux entreprises de signer des accords «compétitivité emploi» de «flexibilisation du travail» en fonction de «la conjoncture économique»… Au Palais, les mots ont un sens et il est inutile, ici-et-maintenant, de se transformer en exégète des sémantiques élyséennes : chacun a compris la gravité de ces annonces.
En termes de représentation symbolique et effective, jamais sans doute dans notre histoire récente des représentants syndicaux ne se sont rendus à ce point à reculons à un sommet dit «social». Preuve du climat de confiance à l’égard du pouvoir et plus globalement de la perception de son intentionnalité… Devant le cliquetis des aiguilles de l’histoire qui détraquent notre temps social universel, comment, en toute conscience, s’en étonner ? Censément, la convocation imposée par le chef de l’État avait pour ordre du jour d’établir «des mesures d’urgence de lutte contre le chômage». Et puis, comme souvent avec le ventilateur de l’Élysée, un coup tactique soufflant sur un autre, l’idée de ne pas attendre et de pousser l’avantage des contre-réformes à la faveur d’une actualité anxiogène – la perte du triple A – a été privilégiée. Nicolas Sarkozy a beau être un ordo-libéraliste de première, il n’en est pas moins lâchement opportuniste.
Les syndicalistes ont de quoi montrer leurs inquiétudes. Car ce mercredi risque de compter dans l’histoire des tragédies anti-République sociale. Le prince-président va en effet vouloir passer en force et imposer ce qu’il nomme improprement «réformes structurelles». D’abord exiger la mise en place de la TVA dite «sociale», bref une modification radicale du financement de la protection sociale. Et offrir – lisez bien – la possibilité aux entreprises de signer des accords «compétitivité emploi» de «flexibilisation du travail» en fonction de «la conjoncture économique»… Au Palais, les mots ont un sens et il est inutile, ici-et-maintenant, de se transformer en exégète des sémantiques élyséennes : chacun a compris la gravité de ces annonces.
jeudi 19 janvier 2012
Pucelle(s) : mais au fait, de quoi Jeanne est-elle le nom ?
Avant d'être récupérée par l'Eglise et l'extrême droite, Jeanne d'Arc fut l'un des symboles de la jeune République...
Michelet. Avez-vous lu Michelet? Nous entendons d’ici les réacs s’étrangler: il est en effet loin le temps où l’Histoire de France de notre Jules chapitrait notre scolarité, tandis que les exemplaires de ses livres encombraient méchamment les coffres de nos antiques bureaux de classe maculés d’encre noire. L’avantage d’avoir subi une éducation à l’ancienne, façon Lagarde et Michard et grammaire grecque, résidait dans le fait qu’il nous était alors impossible de passer à côté de l’essentiel. Comme Molière ou Racine, Michelet en faisait partie. Nos petites histoires pouvaient bien provoquer des marées, la grande Histoire, elle, ne refluait jamais… À la faveur d’une actualité peu triomphante, nous nous sommes donc tout naturellement souvenus que ce fut bien ce bougre de Michelet, et personne d’autre, qui, en 1841, ressortit Jeanne du néant de la mémoire…
Symbole. Nous parlons là de Jeanne d’Arc, bien évidemment. Et de la lecture d’un des chapitres du fameux historien, mû là encore en véritable inventeur de personnages héroïques aux figures multiples. Sachons-le. Avant de devenir la figure éminente du «roman national» français, récupérée par l’extrême droite et la réaction monarchiste, celle qui fut livrée aux flammes anglaises par l’évêque «français» Cauchon, il y a tout juste six cents ans, n’en fut pas moins célébrée par des républicains et même des révolutionnaires en lutte contre le fascisme et l’impérialisme! La libératrice d’Orléans plutôt que la sainte. La résistante à l’envahisseur plutôt que le bras-armé d’un roi sans intérêt… Brossée par Michelet, Jeanne devint l’un des symboles (eh oui !) de la balbutiante idée de patrie, en un temps où les besoins de consolider le dessein de la jeune République s’avérèrent primordiaux face aux forces monarco-religieuses. Jeanne était alors la figure incarnée du peuple en danger, la fiancée de France, la fille de tous, bref la grande martyre d’une monarchie ingrate coalisée avec l’Église qu’il faudra, tôt ou tard, séparer de l’État…
Michelet. Avez-vous lu Michelet? Nous entendons d’ici les réacs s’étrangler: il est en effet loin le temps où l’Histoire de France de notre Jules chapitrait notre scolarité, tandis que les exemplaires de ses livres encombraient méchamment les coffres de nos antiques bureaux de classe maculés d’encre noire. L’avantage d’avoir subi une éducation à l’ancienne, façon Lagarde et Michard et grammaire grecque, résidait dans le fait qu’il nous était alors impossible de passer à côté de l’essentiel. Comme Molière ou Racine, Michelet en faisait partie. Nos petites histoires pouvaient bien provoquer des marées, la grande Histoire, elle, ne refluait jamais… À la faveur d’une actualité peu triomphante, nous nous sommes donc tout naturellement souvenus que ce fut bien ce bougre de Michelet, et personne d’autre, qui, en 1841, ressortit Jeanne du néant de la mémoire…
Symbole. Nous parlons là de Jeanne d’Arc, bien évidemment. Et de la lecture d’un des chapitres du fameux historien, mû là encore en véritable inventeur de personnages héroïques aux figures multiples. Sachons-le. Avant de devenir la figure éminente du «roman national» français, récupérée par l’extrême droite et la réaction monarchiste, celle qui fut livrée aux flammes anglaises par l’évêque «français» Cauchon, il y a tout juste six cents ans, n’en fut pas moins célébrée par des républicains et même des révolutionnaires en lutte contre le fascisme et l’impérialisme! La libératrice d’Orléans plutôt que la sainte. La résistante à l’envahisseur plutôt que le bras-armé d’un roi sans intérêt… Brossée par Michelet, Jeanne devint l’un des symboles (eh oui !) de la balbutiante idée de patrie, en un temps où les besoins de consolider le dessein de la jeune République s’avérèrent primordiaux face aux forces monarco-religieuses. Jeanne était alors la figure incarnée du peuple en danger, la fiancée de France, la fille de tous, bref la grande martyre d’une monarchie ingrate coalisée avec l’Église qu’il faudra, tôt ou tard, séparer de l’État…
vendredi 13 janvier 2012
Campagne électorale 2012 : élevons le débat
Le spectacle politique proposé par certains vise à éloigner les Français de l’essentiel.
Un jour, un éditocrate bien connu rive gauche avait résumé Nicolas Sarkozy en trois mots: «Activité, activité, vitesse !» Non seulement le trait d’humour n’avait rien de fulgurant, mais, à la faveur de l’accélération de la campagne et à force de voir Sarko-ci, Sarko-là et surtout Sarko-n’importe-où pour n’importe-quoi, nous voudrions remplacer ce faux aphorisme par une phrase de Paul Valéry: «L’homme a inventé le pouvoir des choses absentes.» À l’heure de sonder le fracas des esprits tordus rapportés à la réalité de vie quotidienne de ceux qui souffrent, le chef de l’État a beau sortir la TVA sociale ou la taxe Tobin de sa manche, la crédibilité de sa parole ne fait pas plus de bruit qu’une respiration lasse…
À cent jours de l’élection présidentielle, autant se le dire. Le «spectacle» offert par certains «acteurs» politiques de la «cour» médiacratique nous afflige autant qu’il nous inquiète. La responsabilité du prince-président, qui n’a cessé de dégrader sa fonction jusqu’à une forme de nihilisme archétypal, est considérable, historique. L’espèce de «magie» de sa campagne de 2007 – qui fascine encore tant de commentateurs-de-la-haute – ne fut sans doute qu’un fusil à un coup. L’Élysée, ces derniers temps, ressemble à une basse-cour en panique hantée par un canard sans tête.
Un jour, un éditocrate bien connu rive gauche avait résumé Nicolas Sarkozy en trois mots: «Activité, activité, vitesse !» Non seulement le trait d’humour n’avait rien de fulgurant, mais, à la faveur de l’accélération de la campagne et à force de voir Sarko-ci, Sarko-là et surtout Sarko-n’importe-où pour n’importe-quoi, nous voudrions remplacer ce faux aphorisme par une phrase de Paul Valéry: «L’homme a inventé le pouvoir des choses absentes.» À l’heure de sonder le fracas des esprits tordus rapportés à la réalité de vie quotidienne de ceux qui souffrent, le chef de l’État a beau sortir la TVA sociale ou la taxe Tobin de sa manche, la crédibilité de sa parole ne fait pas plus de bruit qu’une respiration lasse…
jeudi 12 janvier 2012
Entreprises : les salariés peuvent prendre le pouvoir !
A l'exemple des Scop, de nouveaux droits d’intervention des salariés dans les entreprises sont plus que jamais indispensables.
«Pour une autre répartition des richesses.» «Ce n’est pas une crise, c’est une arnaque.» «Les salariés doivent avoir la parole.» Face aux grandes peurs d’à-venir, sous les coups de boutoir de l’atomisation sociale qui martèle nos sociétés, combien de fois avez-vous entendu ces phrases et bien d’autres, au coin des rues, en tête des cortèges, sur les piquets de grève et dans vos propres familles à l’heure des fins de mois difficiles? En exprimant leurs révoltes et en luttant comme ils le peuvent contre le règne du «moi» et la «commercialisation universelle», les peuples cherchent une voie, des idées, des solutions. Contre les inégalités et les injustices du capitalisme. Contre l’autoritarisme des puissants qui possèdent tous les leviers, financiers ou médiacratiques. Contre les oligarchies du fric et les organisations internationales sous tutelle – G20, banques centrales, OMC, FMI, etc. Contre la mise en concurrence des individus, qui renvoient les citoyens à la fabrique du néosujet, à la désaffiliation, au délitement du lien social…
L’entreprise est l’un des lieux où se croisent le mieux (si l’on peut dire) à la fois l’ensauvagement et les souffrances du monde d’aujourd’hui, et en même temps le souffle d’aspirations nouvelles, formulées souvent de manière inédite dans leur mode opératoire. L’entreprise comme laboratoire, symbole du néolibéralisme: après avoir aboli les obstacles à la circulation des capitaux, les puissants veulent en effet démolir tout ce qui reste des systèmes sociaux et le droit du travail. Et autant dire que ce ne sont pas les toutes dernières annonces façon «grand bluff» de Sarkozy sur la taxe Tobin qui réconcilieront les Français avec la crédibilité «sociale» du pouvoir, chacun ayant bien compris la nature opportuniste de cette saillie lyrique du chef de l’État, qui ne vise qu’à atténuer les conséquences désastreuses de l’annonce de la TVA «sociale» sur les couches populaires... Les citoyens le savent. Dans un univers ordo-globalisé qui change et évolue vite, si vite, le monde du travail reste un continent à conquérir. Partout, à SeaFrance comme ailleurs, par l’élaboration de Scop comme alternatives aux modes de gestion actuels et aux délocalisations, par l’accès à des financements émancipés du marché financier (coopératives de production, de distribution, de consommation, etc.), nous sentons cet irascible souhait de s’en mêler, de ne pas laisser les patrons et les princes du CAC décider seuls de nos sorts communs. Qu’on se le dise. Monte dans les tréfonds de la société l’envie de ne plus laisser les puissants et les appareils politiques s’arranger avec les affaires du monde, sur le dos de tous, pour préparer, par exemple, une petite alternance bien pépère...
S’il s’agit urgemment de sortir le pays de l’emprise des puissances de l’argent, de la Sarkozye Compagnie et de l’idéologie libéralo-néoréactionnaire, les changements «à la marge», synonymes d’acceptation des politiques de rigueur et de «règles d’or», seraient un contresens historique devant l’ampleur des ébranlements liés à la crise. La vraie feuille de route, simple et audacieuse, tient en quelques mots : une réflexion inédite pour un nouveau projet de civilisation postcapitaliste. Ni plus ni moins… Même s’ils ne le formulent pas ainsi, les peuples, n’en doutons pas, sont prêts à s’y investir. En commençant par leurs lieux de travail ! De nouveaux droits et des pouvoirs d’intervention des salariés dans les entreprises sont plus que jamais indispensables pour réorienter les choix industriels et d’investissement… Ne l’oublions jamais, c’est aussi par le travail – et l’appropriation du travail – que l’homme se transforme. Un beau thème de campagne pour 2012, non?
(A plus tard...)
L’entreprise est l’un des lieux où se croisent le mieux (si l’on peut dire) à la fois l’ensauvagement et les souffrances du monde d’aujourd’hui, et en même temps le souffle d’aspirations nouvelles, formulées souvent de manière inédite dans leur mode opératoire. L’entreprise comme laboratoire, symbole du néolibéralisme: après avoir aboli les obstacles à la circulation des capitaux, les puissants veulent en effet démolir tout ce qui reste des systèmes sociaux et le droit du travail. Et autant dire que ce ne sont pas les toutes dernières annonces façon «grand bluff» de Sarkozy sur la taxe Tobin qui réconcilieront les Français avec la crédibilité «sociale» du pouvoir, chacun ayant bien compris la nature opportuniste de cette saillie lyrique du chef de l’État, qui ne vise qu’à atténuer les conséquences désastreuses de l’annonce de la TVA «sociale» sur les couches populaires... Les citoyens le savent. Dans un univers ordo-globalisé qui change et évolue vite, si vite, le monde du travail reste un continent à conquérir. Partout, à SeaFrance comme ailleurs, par l’élaboration de Scop comme alternatives aux modes de gestion actuels et aux délocalisations, par l’accès à des financements émancipés du marché financier (coopératives de production, de distribution, de consommation, etc.), nous sentons cet irascible souhait de s’en mêler, de ne pas laisser les patrons et les princes du CAC décider seuls de nos sorts communs. Qu’on se le dise. Monte dans les tréfonds de la société l’envie de ne plus laisser les puissants et les appareils politiques s’arranger avec les affaires du monde, sur le dos de tous, pour préparer, par exemple, une petite alternance bien pépère...
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 9 janvier 2012.]
(A plus tard...)
jeudi 5 janvier 2012
Education nationale : l'inégalité selon Sarkozy...
Les contre-réformes subies par le système éducatif s’apparentent à une guerre des classes.
Écrire aujourd’hui que les universités françaises traversent une crise profonde relève de l’euphémisme. Accueillant une bonne partie des élèves de l’enseignement supérieur, elles ne parviennent à en diplômer qu’un pourcentage assez restreint, alors que la qualité des diplômes ne cesse d’être décriée sur l’autel du sacro-saint «marché de l’emploi», sans parler des évaluations scabreuses –souvent scandaleuses– qui les classent à des rangs internationaux indignes d’un pays comme la France. Pour Sarkozy, l’autonomie totale des universités devait tout régler. C’était même, selon la doxa élyséenne, l’aboutissement le plus éclatant d’une des réformes phares de son quinquennat.
Bilan? Une colère à tous les étages ou presque, des déboires budgétaires à la pelle, une sous-dotation, un sous-équipement, une détérioration des conditions de travail et l’aggravation flagrante de la dualité du système français actuel: paupérisation des universités et réussite concomitante des grandes écoles et de l’enseignement supérieur court… Le chef de l’État et Valérie Pécresse ont réussi le miracle –prévisible celui-là– de réunir tout le monde contre eux, des étudiants aux jeunes enseignants-chercheurs en passant par l’essentiel des mandarins, de droite comme de gauche d’ailleurs. Le dogmatisme, la démagogie, l’incompétence, l’improvisation, les malfaçons et l’insuffisance financière sont les maîtres mots de cette «réforme» bâclée et bien plus pernicieuse qu’il n’y paraît, car elle ne relève évidemment pas que de la crise de l’institution universitaire en général, de la place et du rôle du savoir et de l’intellectuel dans la société globalisée. Elle témoigne d’une volonté politique sournoise qui consiste à mettre en concurrence les individus, les établissements et même les régions, avec pour but ultime des distinctions de contenus des savoirs et des formations différenciées selon les territoires et les publics visés. Voilà le dessein de Sarkozy: que l’éducation soit à l’image et au service du monde du travail financiarisé.
Alors qu’il est plus que jamais urgent de se détacher de la conception de la recherche universitaire et scientifique qui vise à fournir les bases de la compétitivité économique mise en place par les traités européens ultralibéraux, reconnaissons que l’éducation nationale version sarkozyste n’est pas qu’une simple «faute politique» doublée d’une «erreur d’analyse». Elle repose d’abord et avant tout sur un socle idéologique: moins de moyens et moins de personnels, des professeurs inégalement formés pour des écoles aux objectifs différents. Car voyez-vous, le président du Fouquet’s n’aime pas l’égalité républicaine, alors, pourquoi accorderait-il de la valeur à l’égalité des chances, l’un des piliers de la République? Sa frénésie accélère la contre-révolution néolibérale: pilotage par les objectifs, rentabilité, partenariats avec le privé, autorité, flexibilité, etc. Ces contre-réformes subies par le système éducatif s’apparentent, elles aussi, à une guerre de classes. Elles élaborent sans le dire un futur salariat clivé, apeuré par la montée de la précarité et du chômage. Et surtout, elle risque de former un salariat sans culture commune. Cette division entre citoyens réduit les formes collectives d’actions et tente d’éloigner sur le long terme toute perspective de transformation de la société. N’en doutons pas : l’éducation est l’un des enjeux de civilisation les plus fondamentaux qui soient. À la fois pour l’à-venir de nos gamins et des prochaines générations, mais aussi pour éviter un monde d’hommes passifs et corvéables souhait…
(A plus tard...)
Écrire aujourd’hui que les universités françaises traversent une crise profonde relève de l’euphémisme. Accueillant une bonne partie des élèves de l’enseignement supérieur, elles ne parviennent à en diplômer qu’un pourcentage assez restreint, alors que la qualité des diplômes ne cesse d’être décriée sur l’autel du sacro-saint «marché de l’emploi», sans parler des évaluations scabreuses –souvent scandaleuses– qui les classent à des rangs internationaux indignes d’un pays comme la France. Pour Sarkozy, l’autonomie totale des universités devait tout régler. C’était même, selon la doxa élyséenne, l’aboutissement le plus éclatant d’une des réformes phares de son quinquennat.
Bilan? Une colère à tous les étages ou presque, des déboires budgétaires à la pelle, une sous-dotation, un sous-équipement, une détérioration des conditions de travail et l’aggravation flagrante de la dualité du système français actuel: paupérisation des universités et réussite concomitante des grandes écoles et de l’enseignement supérieur court… Le chef de l’État et Valérie Pécresse ont réussi le miracle –prévisible celui-là– de réunir tout le monde contre eux, des étudiants aux jeunes enseignants-chercheurs en passant par l’essentiel des mandarins, de droite comme de gauche d’ailleurs. Le dogmatisme, la démagogie, l’incompétence, l’improvisation, les malfaçons et l’insuffisance financière sont les maîtres mots de cette «réforme» bâclée et bien plus pernicieuse qu’il n’y paraît, car elle ne relève évidemment pas que de la crise de l’institution universitaire en général, de la place et du rôle du savoir et de l’intellectuel dans la société globalisée. Elle témoigne d’une volonté politique sournoise qui consiste à mettre en concurrence les individus, les établissements et même les régions, avec pour but ultime des distinctions de contenus des savoirs et des formations différenciées selon les territoires et les publics visés. Voilà le dessein de Sarkozy: que l’éducation soit à l’image et au service du monde du travail financiarisé.
Alors qu’il est plus que jamais urgent de se détacher de la conception de la recherche universitaire et scientifique qui vise à fournir les bases de la compétitivité économique mise en place par les traités européens ultralibéraux, reconnaissons que l’éducation nationale version sarkozyste n’est pas qu’une simple «faute politique» doublée d’une «erreur d’analyse». Elle repose d’abord et avant tout sur un socle idéologique: moins de moyens et moins de personnels, des professeurs inégalement formés pour des écoles aux objectifs différents. Car voyez-vous, le président du Fouquet’s n’aime pas l’égalité républicaine, alors, pourquoi accorderait-il de la valeur à l’égalité des chances, l’un des piliers de la République? Sa frénésie accélère la contre-révolution néolibérale: pilotage par les objectifs, rentabilité, partenariats avec le privé, autorité, flexibilité, etc. Ces contre-réformes subies par le système éducatif s’apparentent, elles aussi, à une guerre de classes. Elles élaborent sans le dire un futur salariat clivé, apeuré par la montée de la précarité et du chômage. Et surtout, elle risque de former un salariat sans culture commune. Cette division entre citoyens réduit les formes collectives d’actions et tente d’éloigner sur le long terme toute perspective de transformation de la société. N’en doutons pas : l’éducation est l’un des enjeux de civilisation les plus fondamentaux qui soient. À la fois pour l’à-venir de nos gamins et des prochaines générations, mais aussi pour éviter un monde d’hommes passifs et corvéables souhait…
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 6 janvier 2012.]
(A plus tard...)
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