Ni mépris, ni postures guerrières, mais exigence... Respects. Un petit rappel vaut mieux, parfois, que de longs discours enflammés. Alors, répétons-le tranquillement : la laïcité n’est pas une religion d’État, ni, au nom de l’athéisme, le dernier degré du théisme. L’historien Jean-Paul Scot le rappelle souvent : «La laïcité est le fruit d’une longue bataille pour la liberté et l’égalité, indissociable de celle pour la démocratie politique et sociale.» L’heure serait donc si grave pour que nous soyons obligés de quelques redéfinitions élémentaires, tandis les projets de loi se multiplient et tentent de déconstruire une part de notre histoire républicaine chèrement acquise. Exemple, le coup de semonce de l’historien et sociologue Jean Baubérot, qui, dans une tribune donnée au Monde, explique fort justement que la loi sur les «séparatismes», censée conforter «le respect des principes républicains», remet «en cause des libertés fondamentales et risque d’être contre-productive». Et il précise son inquiétude : «Le gouvernement affirme renforcer la laïcité, alors qu’il porte atteinte à la séparation des religions et de l’État. Avec ce texte, il accorde un rôle beaucoup plus important à l’État dans l’organisation des religions et de leur pratique, et renforce le pouvoir de contrôle de l’autorité administrative aux dépens de celui de l’autorité judiciaire. (…) Même Émile Combes (président du conseil de 1902 à 1905 – NDLR) n’envisageait pas, à l’époque, de confier à l’autorité administrative la décision de fermeture d’une association pour une suspicion de délit. Aujourd’hui, on veut aller plus loin que les combistes!» Et Jean Baubérot enfonce le clou : «Ce projet de loi témoigne de la nostalgie d’une pureté laïque qui n’a jamais été mise en pratique et n’a donc jamais fait la preuve de son efficacité. On réinvente un passé sans voir l’écart entre les principes énoncés – l’égalité, la fraternité… – et la réalité.»
Neutralité. Notre laïcité repose en effet sur l’articulation des principes de liberté absolue de conscience, d’égalité des droits et de neutralité de l’État à l’égard de toutes les convictions. Souvenons-nous que Jean Jaurès affirmait, le 2 août 1904, dans l’Humanité : «Démocratie et laïcité sont identiques car la démocratie n’est autre chose que l’égalité des droits. La démocratie fonde en dehors de tout système religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social.» Et il ajoutait, après avoir proposé que la suppression du budget des cultes serve à alimenter le premier fonds des retraites ouvrières : «Laïcité et progrès social sont deux formules indivisibles. Nous lutterons pour les deux.» Comprenons bien. La laïcité n’est pas une idéologie antireligieuse, mais un idéal d’émancipation, un principe d’organisation politique et social et la garantie du droit de chacun à affirmer ses différences dans le respect mutuel de tous, par la tranquillité et la neutralité de l’État – et de l’espace public.
Apaisement. Le philosophe et médiologue Régis Debray, qui vient de publier France laïque. Sur quelques questions d’actualité (Gallimard), ne théorise pas autre chose. Dans ce texte vivifiant, il interroge la France «à l’occasion de récentes et écœurantes atrocités », insistant sur la notion de «délimitation» en ces termes : «La laïcité est une exigence. De quoi? De frontières. Une frontière n’est pas un mur. C’est un seuil. Pour distinguer un dedans d’un dehors.» Car le mot lui-même – laïcité –, dans la bouche des uns ou des autres, peut signifier tout et son contraire. Voilà le danger. Régis Debray persiste : «Le respect de cette démarcation requiert incontestablement un effort sur soi-même, une retenue, disons une discipline – à quoi prépare en principe l’éducation civique à l’école. L’individu est censé s’effacer derrière sa fonction, comme les intérêts particuliers derrière l’intérêt général.» Ni mépris, ni postures guerrières. Juste de l’apaisement. Tel se veut le modèle républicain laïc.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 18 décembre 2020.]