«Ils ne vieilliront
plus.» Soldée par ces quatre mots définitifs d’un éditorial de l’Humanité, publié au lendemain d’un
certain 12 juillet 1998, l’aventure individuelle d’une équipe de France de
football devenait, par la force d’un événement digne de la Libération, un corps
collectif constitué pour l’histoire. Depuis, chacun y prend sa place, petite ou
grande, mais avec un trait commun rare et unificateur: qui que nous soyons,
impliqués ou non, supporteurs dingues ou rêveurs solitaires, nous savons où
nous étions ce jour-là, et cette date, épinglée dans notre mémoire vive,
compose à elle seule un inépuisable dictionnaire amoureux d’une philosophie
émotionnelle en tant que genre.
Il y a vingt ans, c’était hier. Et déjà loin. Très loin
même, cette image sportive de joie absolue dans ce pays «black-blanc-beur»,
chauve ou chevelue, chantant bras dessus bras dessous «la Marseillaise» en
attisant et réveillant une ferveur populaire jamais entrevue dans nos cœurs
contemporains. Ces joueurs étaient alors la représentation d’une «France tricolore et multicolore», comme
l’a dit le président Jacques Chirac, affublé de son maillot bleu frappé du coq,
fier comme un gamin de douze ans. Ces footballeurs redonnaient «de la citoyenneté à tous, là où, parfois,
elle se perdait dans le magma des querelles nationales, pour ne pas dire
nationalistes», expliquait la ministre de la Jeunesse et des Sports,
Marie-George Buffet. Elle avait raison. Durant cette Coupe du monde, et jusqu’à
son apothéose contre le prestigieux Brésil, nous nous sommes tant aimés. Nous,
peuple d’une citoyenneté retrouvée, assumée. À dire vrai, nous étions tellement
heureux que nous avions peur de nous serrer dans nos bras devenus, soudain, si
puissants.
Quand le visage de Zinédine Zidane, fils d’immigrés
algériens, a été projeté sur l’arc de Triomphe et que les foules massées
scandaient «Zizou président!», la démographe Michèle Tribalat indiquait que les
Bleus «avaient fait plus pour
l’intégration que des années de politique de la ville». Les héros
eux-mêmes, poussés dans le dos, tenaient des propos comparables et racontaient
l’amitié parfaitement multiculturelle qui les soudait dans le vestiaire, avec
un sentiment insolent qui n’était pas sans rappeler les années 1970. Insolents,
nous l’étions tous.