Zemmour-le-voilà, ou l’Action française…
Histrion. À l’heure où s’écrivent ces lignes, tandis que l’époque vire idolâtre, aguicheuse et sans scrupule, nos cœurs de républicains se serrent. Les sondages ne sont que des sondages et d’ici l’échéance des prétendant(e)s à l’élection monarchique, qui rend folle la France, le paysage politique et social peut encore se modifier et même se désagréger – qui sait? Ici-et-maintenant, le bloc-noteur atterré se doit néanmoins de constater que, désormais, deux potentiels candidats d’extrême droite trustent environ 30% des intentions de vote. Le phénomène s’avère tellement inouï et improbable qu’il est presque trop tard pour tergiverser. Après des années de chroniques sur la famille Le Pen, père et fille, après une bonne quinzaine d’écrits sur les atrocités de Zemmour-le-voilà, un fait politique déplorable s’impose à tous: la vieille pulsion nationaliste, qui a conduit à la collaboration avec le nazisme, est non seulement de retour, mais elle sature l’espace médiatique. L’irruption zemmourienne, et les ponts qu’elle installe entre les fascistes de toutes tendances et la droite extrême, en dit long sur l’état du camp conservateur et réactionnaire, prêt à se jeter dans les bras d’un histrion révisionniste. Minable moment d’involution, entre Action française et Vichy…
Pétainiste. Que les non-informés nous pardonnent: il suffisait d’avoir lu, dès 2014, le Suicide français (Albin Michel), pour comprendre la matrice fondamentale de Zemmour-le-voilà et à quel point le personnage était déjà en place, à la fois odieux et ordurier, poujadiste et pétainiste. Nous ne sommes pas en train d’écrire qu’il est plus ou moins néfaste que Fifille-la-voilà (encore que), mais l’ampleur de la «bulle» médiatique et politique autour de son nom, de son dernier livre et de ses prestations publiques hallucinées, a de quoi nous inquiéter. Sa mécanique est huilée et sa dialectique – machiavélique – se veut savante. L’ex-polémiste, moitié Maurras contemporain moitié Pauwels qui ose tout, même s’approprier l’héritage du général, n’incarne que la revanche xénophobe et ultranationaliste. Dans son livre, il s’avouait deux ennemis de classe privilégiés: les soixante-huitards et les féministes (enfin, surtout les femmes en vérité). Invraisemblables propos: «La propagande consumériste mina la culture traditionnelle du patriarcat ; les publicitaires, sociologues, psychologues s’allièrent aux femmes et aux enfants contre les pères qui contenaient leurs pulsions consommatrices.» Il louait les «hommes retrempés dans une virile vertu spartiate», refusait ce qu’il appelait la «domination émolliente des femmes» et regrettait que «ces vagues de féminisation et d’universalisme postchrétien» puissent briser «les digues d’une France encore patriarcale, reposant sur l’imperium du père, à la maison comme à la tête de l’État».
Décrépitude. Le pire était encore ailleurs. Et par les hasards de son propre agenda, qu’il semble pouvoir imposer aux chaînes d’information en continu, nous en parlons en boucle depuis au moins quinze jours: le rôle de Pétain dans la déportation des juifs. Pour lui, une «doxa édifiée» qui repose sur «la malfaisance absolue du régime de Vichy». Vous avez bien lu. Dès le Suicide français, Zemmour-le-voilà exaltait la figure de Pétain, qu’il disait sauveur de «juifs français» (ignoble nuance, même entre juifs) et pointait «l’efficacité de l’échange juifs français contre juifs étrangers, voulu et obtenu par Vichy». Pétain en héros, voilà tout. Sept ans plus tard, il récidive. En vérité, l’ultraréactionnaire a procédé depuis longtemps à sa mue de pré-fascisant. En 2014, il ne cachait pas: «Maurras exalta jadis les quarante rois qui ont fait la France ; il nous faut désormais conter les quarante années qui ont défait la France.» Nous serons d’accord sur un point. Oui, les quatre dernières décennies furent assez tragiques. Sauf que Zemmour-le-voilà n’est aujourd’hui que le produit monstrueux de cette lente et terrifiante décrépitude idéologique…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 1er octobre 2021.]