Le 31 juillet 1914, le directeur de l'Humanité tombait sous les balles d'un nationaliste.
Et
le dernier souffle de l’homme, assassiné, renvoie déjà aux sourdes plaintes d’un
monde bientôt soumis aux enfers. Les rues parisiennes de ce 31 juillet 1914 exhalaient
cette chaleur moite du coeur de l’été qui ankylose les esprits et fatigue les
organismes, chacun quêtant, aux terrasses des brasseries ou dans les
arrière-cours des immeubles, de rares espaces de fraîcheur partagée. Une heure
plus tôt, rue Montmartre, Jean Jaurès et quelques-uns de ses collaborateurs de l’Humanité avaient hésité. Où
iraient-ils dîner? «Au Coq
d’Or?», avait suggéré l’un. «Non!,
avait répondu le directeur d’un ton caressant, c’est un peu loin, et puis, il y a de la musique, des femmes… Allons au
Croissant, c’est plus près. » Le tribun socialiste, qui prenait peu
soin de lui en règle général, négligeait depuis des jours et des jours tout ce
qui s’apparentait de près ou de loin au confort de sa personne. Ses
préoccupations s’attachaient toutes entières à l’ordre du monde et à l’avenir
des peuples européens, parvenus, il le savait bien, lui, à un point de
basculement tragique de leur histoire.