Mépris. La violence démocratique du gouvernement – comme si Mac Macron épousait jusque dans le détail les manières thatchériennes – appelle un examen de conscience politique d’autant plus impérieux qu’il révèle la forme autoritaire de l’exercice du pouvoir. Prenons bien la mesure du moment qui est le nôtre; et des conséquences sur la vie publique en devenir. Après le mépris absolu de la contestation sociale – qui a pris l’ampleur d’une bataille de civilisation afin de sauvegarder l’à-venir de nos retraites –, le comportement de l’exécutif visant désormais à annihiler le combat parlementaire a quelque chose de mortifère. Les artisans de cette destruction démocratique en règle ne prennent pas la mesure du mal cumulatif qu’ils imposent au pays et qui enclenchera immanquablement une réaction en chaîne aussi inédite qu’imprévisible. Qui n’a pas compris la richesse historique du mouvement social en cours, comme sa diversité exemplaire, n’a rien compris en vérité à la lame de fond qui secoue les tréfonds de la société. On ne dira jamais assez la puissance symbolique des arrêts de travail des «roulants», les jets des robes d’avocats, des blouses de médecin, des cartables de profs, des outils des artisans d’art du Mobilier national, sans parler des danseuses de Garnier, de l’orchestre de l’Opéra, du chœur de Radio France, etc. Tout cela pour quoi? Frédéric Lordon l’expliquait récemment: «Ce sont des merveilles de la politique contre le management des forcenés. Ici les forcenés ne sont pas ceux qui sont managés mais ceux qui managent, lesquels par ailleurs pensent que les ''forcenés '', les '' fous''», comme tout le reste, sont à manager. De la politique quasi-anthropologique, où l’on voit, par différence, l’essence des forcenés qui managent et, à leur propos, surgir la question vertigineuse: mais qui sont ces gens? Qu’est-ce que c’est que cette humanité-là?» Oui, de la même manière qu’elle pourrait dire qu’elle n’est pas à vendre, la société aujourd’hui dit qu’elle n’est pas à manager.
Désordre. Mais revenons au sujet essentiel, quand nous (re)découvrons toutes les conditions de possibilité cachées de la démocratie, sans lesquelles, rappelle Frédéric Lordon, il n’y a que « la-démocratie » dépourvue du sens de «la décence». Une question hante donc le bloc-noteur, celle qui commande à tous les débats du jour l’identité d’une République, par quoi notre pays fait, en Europe et dans le monde, exception. Qui que nous soyons, nous payons tous collectivement, et par un indéniable désordre mental, la confusion intellectuelle entre l’idée de République issue de la Révolution française, et l’idée de démocratie, telle que la modèle l’histoire anglo-saxonne. Nous les croyons synonymes, nous les mélangeons, les fusionnons sans discernement, commettant l’erreur de ne pas les distinguer. La société libérale et consumériste n’est pourtant qu’une figure parmi d’autres de la démocratie, mais elle s’avère si dominante et communicative qu’on la croit obligatoire, y compris dans les pays où la démocratie a pris d’autres visages. Le conflit pour les retraites en est emblématique. Quand tout ce qui a pu être dit, puis crié, puis hurlé ne rencontre que le silence abruti de la caste supérieure, qui s’étonnera que les moyens changent, tôt ou tard? N’oublions jamais que la République aime l’égalité. Or, l’égalité sociale ne figure pas au programme de la démocratie, par laquelle on parle d’autant plus haut et fort des libertés publiques et individuelles qu’on veut surmonter l’embarras suscité par les inégalités économiques. Sous le terme d’«égalité», le démocrate se contentera toujours de l’égalité juridique devant la loi; le Républicain, lui, y ajoute obligatoirement l’équité des conditions matérielles et une vision pour les générations futures, sans lesquelles le pacte civique devient, à ses yeux, un faux-semblant léonin. Dans ce contexte, la trompeuse morale politique du «courage des réformes» n’a qu’une définition, empruntée aux self-services d’outre-Atlantique: violenter le plus grand nombre comme indice de valeur personnelle. En somme, le contraire de la République – qui ne dissocie jamais l’homme du citoyen…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 28 février 2020.]