jeudi 9 septembre 2021

Retrouvaille(s)

La Fête, une sensation, un plaisir et beaucoup d’engagement.

Partage. S’élèvent déjà, depuis le trop-plein d’émotion qui s’entortille avant l’heure, les respirations inspirées du Peuple de la Fête. Des retrouvailles, des vraies. Ultime retour à La Courneuve, avec au cœur autant d’envies que d’appréhension. Par temps de Covid, passe sanitaire en main, nous espérons tout surmonter, nous adapter, ne pas nous laisser distraire par les effets psychologiques d’une pandémie durable, comme s’il fallait jouer la fiction de la normalité tout en sachant qu’il serait hasardeux d’y croire totalement. Pour réussir le passage de l’horizon d’un seul à l’horizon de tous, les mots secs ne suffisent plus. De même, pour qu’une petite joie personnelle devienne grand bonheur collectif, il convient de marier l’oreille avec les yeux – une sensation, un plaisir et beaucoup d’engagement. Nous restons en cette terre du «nulle part ailleurs où il faut être» le couteau bavard des plaies humaines à la lisière des espérances franches. Parce qu’elle diffuse de la mémoire vigilante et ce bien précieux nommé « le partage » qui nous grandit et nous hisse au-delà de nous-mêmes, bien plus haut, la Fête de l’Humanité demeure (telle une maison commune) notre meilleure alliée pour trouver la force du grand retournement des consciences. Cette année plus encore que d’ordinaire, sans doute, tant la nécessité de refondations alternatives s’avère urgente. Souhaitons trois jours de succès populaire et d’élans revisités, durant lesquels la liberté, la vraie liberté, chassera la paralysie et éloignera les peurs d’une société en crise profonde. Besoin d’air!

Marqueurs. Dans un contexte connu et redouté de désarroi et de trouble, l’enquête annuelle d’Ipsos-Sopra Steria sur les «Fractures françaises», publiée par le Monde cette semaine, nous donna curieusement du grain à moudre. Et de quoi réfléchir. Près d’un Français sur deux pense que, «pour renforcer la croissance, il faut renforcer le rôle de l’État dans certains secteurs de l’économie». Intéressant, non? Ce n’est pas tout: 42% des personnes interrogées estiment qu’«il n’y a pas assez de solidarité envers les gens qui en ont besoin». Des marqueurs authentiquement de gauche. Pourtant, chacun connaît la situation des partis et des responsables politiques qui s’en réclament. Le glissement vers la droite totale impulsé par Mac Macron depuis quatre ans aurait dû, en toute logique, dégager un espace considérable pour les idées progressistes. Est-ce trop tard, alors que la question sociale reviendra tôt ou tard s’imposer majoritairement dans les esprits?

Horizons. Cette année, ce dont nous avons envie, c’est plutôt un «examen d’émotion politique» qu’appellent les circonstances du retour de la Fête dans son format (presque) traditionnel. Quand les malins dominent, il n’est pas interdit de combattre, de porter le fer, fort et sans retenue. Mieux : il devient impérieux de retrouver la chaîne dont nous ne sommes qu’un maillon. Voilà la définition de cette Fête unique au monde et du journal qui la porte. Le rendez-vous de toutes les singularités mises en commun, dans ce doux mélange de rêveries concrètes et de profondes envies d’en découdre avec la matière politique dans ce qu’elle a de plus noble, comme si nous étions tous les dépositaires de cette gigantesque chaîne d’union de centaines de milliers de mains, gonflés d’un souffle porteur, poussés dans le dos, en quelque sorte, par l’exigence de transformation. Ces mains tenues et solides constituent l’unité même de l’histoire de l’Humanité, ce «patrimoine national» qui est tout sauf un musée. Le bloc-noteur ne l’oublie pas: dans trois jours, la Fête dira «adieu» à La Courneuve. Un site n’est qu’un site – mais quelle aventure! Après, nous voguerons vers un autre lieu, d’autres horizons. Ni la fin du monde, ni le début d’un autre, juste la suite de l’Histoire d’une extrême fragilité. Cela réclame de la précaution. 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 10 septembre 2021.]

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