«Peuples libres, souvenez-vous de cette maxime : on peut acquérir la liberté, mais on ne la recouvre jamais.» Jean-Jacques Rousseau, plus inspirateur que jamais. Comme si du fond de son Panthéon balayé par les courants de l’air du temps, alors que la France commence à fêter le tricentenaire de sa naissance, il nous rappelait à nos obligations d’héritiers des Lumières. À partir de quand un symbole est-il socialement efficace, opératoire, moteur ? Hier, le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, a apporté l’une des plus éclatantes réponses à ce mystère. L’hommage très «actuel» qu’il a rendu à l’auteur du Contrat social, d’abord au Sénat, puis place «des grands hommes», s’est ancré dans l’imaginaire collectif de la gauche et dans la trace matricielle du grand récit de la «France qui souffre». Pierre Laurent a mis dans le mille. Une démocratie est-elle encore assez vivante et moderne lorsqu’elle n’est plus au service du peuple ?
Nicolas Sarkozy a-t-il seulement lu une page des Confessions ou des Rêveries ? Nous savons qu’avec lui (et son scribe Guaino) un apologue opportuniste vaut tous les symboles. Depuis cinq ans, il a fait lui-même «son marché» auprès d’une kyrielle de distributeurs de marqueurs historiques qu’il a tirés à hue et à dia, déformant jusqu’à l’absurde tous les pôles représentatifs d’agglutination, décontextualisant tout sur son passage, les figures, les signes et le sens.
Et ce n’est pas fini. Même totalement démonétisé, le chef de l’entreprise-France a encore une fois choisi le pire des symboles en réquisitionnant pas moins de six chaînes de télévision, dimanche soir, afin d’annoncer les «mesures fortes et structurelles» qu’il a décidé d’imposer à tous au lendemain du sommet dit «social». Un hold-up médiatique. Doublé d’un hold-up social. Mais au fait : et le peuple dans tout cela ?
Le peuple ? Quoique disparu du vocable de la plupart des personnalités politiques, il reste le Saint-Graal des chevaliers errants en mode électoral. Alors le revoilà, ce peuple maudit, atomisé par une crise sociale épouvantable et des chiffres du chômage qui explosent. Même François Hollande, qui évite le mot au profit du «vivre ensemble», a choisi pour inaugurer comme page d’accueil de son site de campagne une photo d’ouvriers en bleu de travail. Mais derrière les images et les troubles sémantiques, comment ne pas voir la «contamination idéologique» des idées du Front de gauche, comme le suggère Jean-Luc Mélenchon, dont la dynamique de campagne n’échappe plus à personne ? Le vrai débat débute. Même Libération titrait hier : «Dans les usines, Mélenchon turbine.» Le candidat à la présidentielle n’hésite pas à expliquer : «Plus Hollande y va sur le violon anticapitaliste, plus il valide mon vocabulaire ! Mais maintenant, il est au pied du mur ! Comment fait-il ? Que dit-il sur les salaires ?»
Si les classes populaires ont parfois toutes les raisons de se détourner d’une gauche dont elles ont le sentiment qu’elle les a trahies, la crédibilité des propositions du Front de gauche risque d’en surprendre plus d’un. Face à la plus formidable rage de destruction sociale depuis la Libération, la reconquête populaire est aussi philosophique. La France a besoin d’un changement de société, pas d’une petite «alternance» pour gestionnaires… Encore Rousseau : «Ici se forge le premier anneau de cette longue chaîne dont l’ordre social est formé.» Cette longue chaîne porte un nom : le peuple. Les bifurcations de l’histoire sont possibles dès que l’opinion redevient un peuple. Ne l’oublions jamais !
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 26 janvier 2012.]
(A plus tard...)
4 commentaires:
Il n'est pas encore trop tard pour que le candidat Mélenchon arrive aux alentours des 15%. C'est très possible. La dynamique actuelle est à gauche, alors il faut y croire car c'est important pour forcer le PS à revenir vraiment à gauche.
Votons en masse pour Mélenchon. Il en va de l'avenir de la France et de l'avenir de la gauche. Il faut changer le rapport de force. Il faut que la peur change de camp.
Si cette expression de "contamination idéologique" est très bien à gauche elle n'en est pas moins très maladroite. L'idée de contamination évoque la diffusion anormale et insidieuse dans un corps d'éléments pathogènes. Diffusion qui déclenche dans un corps sain des réactions ou défenses immunitaires. C'est le cas par exemple des idées du Front national qui, elles, effectivement relèvent de la contamination idéologique.
Ne parlons même pas de la contamination idéologique des discours sociaux par les discours universitaires des experts, des économistes, des sociologues d'État, et des "managers" de la démocratie de marché: elle est tellement massive et omniprésente qu'on ne la perçoit plus et que le corps social n'est plus en mesure de s'en protéger.
La question du choix des mots est loin d'être secondaire.
Mélenchon a le sens de la formule. C'est une grande qualité. Et un grand défaut. Mais au moins il ne laisse personne indifférent.
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