(librement inspiré de « Tour de France, une belle histoire ? », éditions Michel de Maule, 2008)
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À la fin des années 80 – cela ne semble pas si lointain, et pourtant… – tout paraissait encore simplifié. Malgré la Guerre Froide, qui brûlait ses derniers feux sans que nous le sachions, et une organisation mondiale séparée en deux, entre d’un côté les professionnels (l’Occident), de l’autre les amateurs (le bloc « soviétique »), le cyclisme imposait grosso modo ses codes et ses rites, ses manies noires et son esprit fraternel. Y entrer, qu’on soit coureurs ou suiveurs, signifiait s’y plier. Non par soumission mais par attachement sincère. Du moins le croyais-je.
Pour le jeune journaliste que j’étais à l’époque, c’était comme ça et pas autrement. L’histoire et les habitudes héritées des anciens commandaient, et la connaissance des secrets de famille octroyait à ceux qui les partageaient un passeport familial. Surtout, cela va sans dire, s’il tenait leur langue. C’était, selon les expressions, la « famille du vélo », la « bande », le « milieu », la « mafia ».
Après, mais seulement après, lors des nombreuses soirées qui jalonnent son apprentissage lors des classiques ou des courses à étapes, le suiveur pouvait se taper sur le ventre et se vanter de « savoir » certaines choses. L’important n’était alors plus seulement de savoir, mais de pouvoir se vanter de savoir. Et un peu plus tard, lorsque les années avaient usé les derniers mécanismes d’autodéfense, la vantardise de savoir se transformait en raison d’être : la vantardise pour la vantardise, en somme, une gloriole à partager entre mecs, les coudes sur le zinc et les anecdotes plein les lèvres. Un style de vie. Une manière comportementale. Des mots pour le dire (de Blondin au simple scribouillard, l’éventail était large) et des professions pour l’assumer (journalistes, organisateurs, chauffeurs, etc.).
Par glissements successifs, le journaliste n’a alors plus qu’un lointain souvenir de son métier, de son éthique et des raisons pour lesquelles il décida, un jour, de se mettre derrière une machine à écrire pour raconter une échappée en exaltant la puissance souple d’une pédalée ou l’ardeur d’un caractère de champion.
A plus tard...
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