1996. L’après-midi de Sestrières, donc, nous étions devant les téléviseurs de la salle de presse. Nous traquions du regard non plus l'Espagnol Miguel Indurain, dépassé par les événements, mais cet Evgueni Berzin qui constituait, après tout, un successeur crédible : à la tête de la sulfureuse équipe italienne Gewiss (dans cette équipe, les coureurs se shootaient à l’EPO comme on suce des bonbons à la menthe), n’avait-il pas accroché à son palmarès deux courses parmi les plus prestigieuses du calendrier, le Giro et Liège-Bastogne-Liège ?
Mais là, sous nos yeux, dans cette séquence hors de tous repères, nos « logiques » volaient en éclat. Plus de maillot jaune. Plus de maillot Banesto. Seul s’imposait, dans une danse macabre, celui rouge et blanc du champion du Danemark, Bjarne Riis.
Au plus fort de la pente, ce Danois de 32 ans qui avait annoncé sa prochaine retraite, vieux cheval de retour, entamait l’ère des escrocs au petit cœur, sans foi ni loi, cynique. Il se laissait glisser pour jauger ses adversaires, on le croyait défaillant mais non, il respirait, regardait, transpirait à peine, se dressait sur les pédales et avait fini par s’enfuire comme un bandit vulgaire, tournant le dos à l’Histoire en paraphant de son sang la mortelle surenchère.
Du jamais vu. Dans la salle de presse on entend quelqu’un dire : « N’importe quoi. » Il gagna l’étape, prit le maillot, ne le quittera plus jusqu’à Paris, et nous, pauvres de nous, nous cherchions dans ses précédentes performances des raisons d’y croire. Un coureur de « deuxième plan » transgressait la règle édictée par-delà les âges : nous avions la preuve aveuglante qu’une certaine avance dans l’armement chimique pouvait faire vaciller le Tour de France.
L’étoffe du héros n’était plus une tunique jaune. On la trouvait au fond d’une valise pleine de médicaments.
La triste et terrible prévision de Pierre Chany venait de se réaliser : les bourrins pouvaient désormais détrôner les pur-sang... Depuis, comme vous le savez, plus rien n'est comme avant. Encore combien de temps ?
A plus tard...
2 commentaires:
Bravo pour cette remarquable saga, conclue en beauté par le Tour qui, avec le recul actuel, symbolise le mieux le grand n'importe quoi des années 90 et, du même coup, annonce la tempête de 98 : la fameuse édition 96... La lecture du classement final nous fait d'ailleurs mieux comprendre pourquoi Riis figure à nouveau dans le palmarès, après en avoir été évincé dans un premier temps, suite à ses aveux en 2007 :
1. Bjarne Riis, donc ;
2. Jan Ullrich : tout le monde sait aujourd'hui qu'il était "chargé" (affaire Puerto, etc) ;
3. Richard Virenque : sans commentaire ;
4. Laurent Dufaux : il a lui aussi avoué suite à l'affaire Festina ;
5. Peter Luttenberger...
Qui ça ? ASO aurait donc dû remonter à la cinquième place pour trouver un vainqueur "présentable", pour le reste inconnu du grand public...
Néanmoins, les abus des années 90 étaient un aboutissement "logique" et, pour porter un jugement sur les palmarès et, surtout, les comportements, il faut se baser sur un événement plus précis que la prophétie de Chany, déjà accomplie avant 96 (Chiappucci, Furlan, etc). L'affaire Festina est cet évènement. En effet, alors que celle-ci aurait dû constituer une véritable prise de conscience collective, elle a, au contraire, et au fil des scandales suivants (blitz de San Remo, affaire Cofidis, etc), divisé le peloton en deux : ceux qui ont compris et les autres... Cette vision manichéenne des choses est, hélas, le seul moyen d'appréhender le problème : il faut être sans pitié pour les tricheurs actuels qui ne peuvent en aucun cas être comparés à ceux d'avant 98, Riis compris (il est plutôt à blâmer pour son équipe de chaudières : comment Thierry Adam a-t-il pu s'enflammer à ce point lors de l'improbable numéro de Sörensen, l'autre jour ?). Quand j'entends : "Armstong est dopé ? Et alors ? Fignon vient d'avouer et il commente le Tour à la télé...", eh bien, dans un premier temps, je lutte avec moi-même pour ne pas m'énerver mais, très vite, je plains mon interlocuteur de ne pas connaître l'Histoire du cyclisme...
Puisse donc "La véritable histoire du dopage" ouvrir les yeux de ceux qui ne font pas la différence entre le dopage "de fête" d'autrefois et le dopage "lourd" d'aujourd'hui qui, n'en déplaise à beaucoup, peut effectivement faire d'un âne un cheval de course.
Pour terminer, deux critiques, constructives :
- le jugement concernant Delgado me paraît sévère et en contradiction avec la conclusion finale ;
- une (minuscule) erreur s'est glissée dans le chapitre précédent : Berzin n'a pas pris le maillot jaune à l'issue du chrono de Val d'Isère mais la veille, aux Arcs...
Je vous dis à mon tour toute mon amitié (depuis Metz) et vous souhaite bon courage pour la fin de ce tour frelaté.
1996 est aussi la dernière saison ou les coureurs pouvaient faire monter leur hématocrite au delà de 60.
A partir de l'année suivante, l'UCI interdisait le départ d'un coureur dépassant le taux de 50.
Et d'ailleurs, que sont devenus la plupart des cadors des années 90/96 ??
Retraite d'Indurain, et quasi disparition des Ugrumov,Luttenberger,Rominger,Chiappucci, Bugno,Berzin,Furlan,Jazkula,etc.
Et Bjarne Riis, comme par hasard, n'allait plus jamais retrouver son extravagant coup de pédale d'Hautacam 96..
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