jeudi 4 juin 2020

Parthénogenèse(s)

Mac Macron et «ses» économistes...

Clarification. Après le fameux «comité scientifique», qui tint les commandes médicales de la crise sanitaire dans les coulisses du pouvoir durant des mois, voici donc l’apparition d’une «commission d’experts sur les grands défis économiques», voulue et installée par le prince-président. Ne rigolez pas, l’affaire se veut sérieuse et même ambitieuse, tellement que certains prennent au pied de la lettre les mots de Mac Macron quand il annonce sans vergogne le retour des «jours heureux». Au-delà de la frauduleuse référence, les naïfs devraient pourtant se méfier. Dans un tweet à l’enthousiasme débordant, Mac Macron déclarait le 2 juin: «La réouverture des cafés, hôtels et restaurants signe le retour des jours heureux!» Un vrai moment de clarification, en vérité. Pour lui, «les jours heureux» n’ont pas grand-chose à voir avec le programme du Conseil national de la Résistance… mais renaissent à la fréquentation des bars. Quel rapport, direz-vous, avec une commission d’experts chargés de réfléchir à l’avenir économique du pays? Une question de sens, sans doute. Et de casting. Car, pour préparer l’après-coronavirus – il est temps! –, Mac Macron a décidé de s’entourer de «quelques-uns des économistes les plus réputés», déclare-t-on au Palais. Ces derniers auront pour mission de «livrer des recommandations» susceptibles «d’inspirer les politiques publiques» autour des thèmes du «climat», des «inégalités» et du «vieillissement». Adieu relance, planification et autre new deal. Et qui ont été nommés à la tête de cette nouvelle commission? Deux hommes que nous ne saurions qualifier d’orthodoxes, mais qui, à tout le moins, méritent les honneurs des doxas de la Macronie: Jean Tirole, prix Nobel d’économie 2014, et Olivier Blanchard, ex-chef économiste du Fonds monétaire international de 2008 à 2015. Les Dupond et Dupont animeront un «groupe de travail international» (ça en jette) et rendront un rapport en… décembre prochain. Vous avez bien lu. Patience, patience, le monde de «l’après» n’est pas pour demain matin…
 
Aveux. Ô surprise! Parmi les membres de ce groupe, nous retrouvons les noms de plusieurs «visiteurs du soir» de Mac Macron, tous compatibles avec les politiques économiques en vigueur depuis des lustres: Jean Pisani-Ferry, Philippe Aghion, Laurence Boone et Daniel Cohen. Dans un entretien accordé au Monde, Jean Tirole expose la démarche en ces termes: «Nous avons tenté de constituer une équipe équilibrée, cumulant expertise scientifique et capacité à définir des réponses concrètes.» Si l’équilibre de ladite équipe laisse songeur, l’expertise (forcément «scientifique» comme on nous l’affirme) semble écrite à l’avance, sauf bien sûr à imaginer que ces braves penseurs du libéralisme, en se frottant au virus, ont vu la Vierge et Marx avec. D’ailleurs, Jean Tirole lui-même passe aux aveux: «Nous avons la faiblesse de croire dans les experts! Mais nous voulons aussi proposer des solutions concrètes. Les auteurs des rapports et nous-mêmes partirons de l’analyse économique, mais, pour être concrets, nous ferons des recommandations qui peuvent tenir la route d’un point de vue politique.» À propos des experts, vous remarquerez que notre Nobel ne déclare pas «avoir confiance» en eux, ce qui serait compréhensible. Non, il «croit» en eux. Cette croyance explique probablement sa volonté de «tenir la route d’un point de vue politique». Cette épouvantable sémantique confirme une évidence: méfions-nous des postures qui laisseraient penser que «plus rien ne sera comme avant». Avec ces défenseurs zélés de l’économie de marché et de la dérégulation du droit du travail, l’après sera évidemment comme avant, mais en pire. Lorsqu’il s’occupait à dépecer la Grèce au titre du FMI, Olivier Blanchard répétait que le système des retraites était trop généreux, qu’il y avait trop de fonctionnaires et qu’il convenait de réduire drastiquement les dépenses publiques. Mac Macron a au moins deux qualités: il sait s’entourer pour s’éviter des nuits noires ; il assume la parthénogenèse du néolibéralisme, dont il est l’une des productions fécondes.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 5 juin 2020.]

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