dimanche 14 juin 2020

Jeunesse damnée

L’affaire George Floyd sert de vecteur au mal-être de la partie la plus jeune de la population, pour laquelle tout ressort en bloc: les discriminations, les humiliations, la xénophobie, les ségrégations, la précarité, le chômage...

La dureté des mots, l'absence d'empathie. Alors que le mouvement de protestation contre les violences policières et le racisme s’intensifie, l’exécutif ne cache plus sa crainte de voir se lever un vent de révolte durable au sein de la jeunesse. À sa manière, Emmanuel Macron a bien compris que le divorce était consommé. Il l'a en quelque sorte assumé, dimanche soir, lors de son allocution. 
Si les États-Unis ne sont pas la France, l’affaire George Floyd sert de vecteur au mal-être de la partie la plus jeune de la population, pour laquelle tout ressort en bloc: les discriminations, les humiliations, la xénophobie, les ségrégations, la précarité, le chômage, l’absence de perspectives d’à-venir… 

L’affaire est sérieuse et pourrait bien déboucher sur une rupture générationnelle d’une ampleur inédite et menaçante pour la cohésion de la société. Certes, nous n’avons pas attendu le Covid-19 pour constater cette fracture béante, singulièrement envers la jeunesse des quartiers populaires, frappée par toutes les injustices systémiques. Mais les effets du confinement, utile pour protéger les plus âgés, a jeté les primo-générations dans une fragilité sans précédent. Scolarité, examens, diplômes, formations, entrée dans l’emploi: les conditions de vie se sont aggravées, rendant le quotidien encore plus anxiogène que d’ordinaire… 

Que deviennent dès lors nos jeunes – qu’ils soient héritiers de l’immigration ou non –, au gré d’une société inégalitaire, d’une éducation à la dérive et d’un monde où seul est glorifié le culte du fric et de la réussite télémarchandisée? Chômage de masse des moins de 30 ans (40% dans les zones dites sensibles), paupérisation, destruction des services publics: la crise économique paraît hors-sol, mais la misère, elle, a des racines si profondes qu’elles labourent et écrasent les entrailles des quartiers, des familles, des jeunes, de nos enfants, broyés sous le laminoir d’un paysage sanitaire et économique dévasté, victimes d’une époque frappée du sceau de la déréalisation. L’avenir de la République se joue en grande partie dans ces quartiers populaires. Si le décrochage se poursuit, la République elle-même sombrera.

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 15 juin 2020.]

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