Lors des élections départementales, le Front
de gauche
se structure durablement.
Le Front nationaliste s’étend.
Faits. Ainsi donc, à la faveur du premier tour des élections départementales, les commentateurs ont définitivement entériné l’apparition dans le paysage d’un «tripartisme imposé par les électeurs». Vous avez compris: l’UMP-UDI, le PS et le Front nationaliste se partageraient ad vitam aeternam l’essentiel des bulletins de vote de nos concitoyens. Outre que rien n’est jamais figé dans la vie, en politique comme en toutes choses, le phénomène médiatique qui consiste à éliminer systématiquement des radars le Front de gauche, particulièrement dans ce scrutin-là, devient sinon grotesque du moins scandaleux. Les lecteurs de l’Humanité, eux au moins, connaissent la réalité des chiffres, qu’il convient de rappeler brièvement pour la bonne compréhension de tous. En 2008, le PCF recueillait 8,8% dans la même élection. En 2011, le Front de gauche pointait à 8,9% des suffrages exprimés et 9,4% sur les cantons où il était présent. Parlons maintenant de 2015: les binômes où figure au moins une composante du Front de gauche recueillent 9,4% des suffrages exprimés, chiffre qui grimpe à 11,9% sur les seuls cantons où il présentait des candidats (1 540 au total).
Détournement d'une affiche publicitaire réalisé par des militants du Val-de-Marne. |
Chacun peut le constater, à condition de le vouloir, le Front de gauche est lui aussi installé et structuré durablement. Conclusion? Doit-on parler benoîtement de tripartisme – tripôle serait d’ailleurs plus approprié? Ne devrait-on pas oser les expressions « quadripartisme » ou «quadripôle», plus justes et surtout accréditées par les faits, rien que les faits? Absurdement. Il est une autre vérité, moins réjouissante. Le Front nationaliste squatte bel et bien la carte électorale, s’ancre dans ses territoires de prédilection et perce dangereusement ailleurs, au point que nous pouvons nous demander s’il existe encore ce que l’on appelle vulgairement des «terres de mission pour l’extrême droite». Renforcé dans ses bastions où il tutoie ou dépasse allègrement les 35% (Aisne, Oise, Somme, Pas-de-Calais, Var, Vaucluse, Gard), il étend son influence dans des zones qui, jusqu’à présent, restaient peu réceptives aux manœuvres attrape-tout de Fifille-la-voilà. Il n’y aura bientôt plus un lopin de terre qui échappe à son influence. Ces nouvelles poches de l’extrême droite se situent dans un bloc ouest/sud-ouest, mais également vers le centre (Manche 23%, Mayenne 20%, Sarthe 26%, Loiret 28%, Indre-et-Loire 23%, Tarn-et-Garonne 27%, etc.). Ce phénomène nous conforte dans l’idée qu’il n’y a pas un mais plusieurs votes FN et que ces territoires recouvrent des réalités idéologiques, sociales, économiques et sociologiques bien différentes. Qu’y a-t-il de commun entre l’expression de la droite extrême et traditionnelle du grand sud-est avec le ras-le-bol populaire et complexe du grand nord-est? Une partie s’exprime par ultranationalisme classique, hérité de la droite dure; l’autre partie réagit essentiellement, espérons-le du moins, de manière épidermique, par ressentiment postindustriel. Ailleurs encore, comme dans l’ouest, nous assistons plutôt à l’émergence d’une insurrection du monde rural, fruit d’une crise rurbaine épouvantable. Signalons enfin que le Front nationaliste progresse de manière significative dans un certain nombre de territoires assez aisés, urbains ou périurbains. Dans la tête de ces très nombreux citoyens, perdus, relégués, déçus ou inquiets, l’exigence «de la» politique semble s’être appauvrie, disloquée, barricadée. Avec cette manière «d’être» en citoyenneté comme pour y renoncer, ce qui disparaît, c’est un «monde commun» et l’idée même d’intérêt général, raison pour laquelle des populations d’extractions sociales totalement opposées se retrouvent absurdement dans la figure le Fifille-la-voilà. Nous devons le savoir. Pour mieux le combattre.
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 27 mars 2015.]
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