La réalité, oui. Mais juste la réalité alors… Depuis dimanche, toute la médiacratie réunie pour le pire a décidé d’agiter le «chiffon rouge» du Front national, comme si «la percée» réalisée dans de nombreuses villes était le seul tremblement de terre électoral vécu par la France ce 23 mars. La prétendue «percée» est non seulement à relativiser, mais elle n’existe pas, à l’exception notable de quelques endroits. Les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur sont têtus. Au total, le FN n’a pu présenter des listes que dans 596 communes, souvent au prix de tripatouillages que la République réprouve. Le résultat national s’avère très faible : 4,65% (et non 7% comme annoncés), soit 1,2 million de votants. Comment parler de poussée irrépressible? Nous ne nierons pas – surtout ici dans ces colonnes – le danger que constitue le poison lepéniste, bien au contraire. Mais la paresse des éditocrates, la soumission à la communication politique à la merci du poujadisme ambiant et, plus profondément encore, l’effacement concerté de la «question sociale» nous lassent et nous navrent, car ils braquent les projecteurs uniquement sur les conséquences d’une situation de crise, jamais sur ses causes. Cette manipulation à grande échelle ne date pas d’hier.
Depuis quelques mois, la promotion des leaders frontistes dans les médias a atteint un tel degré de démesure que nous pouvons parler d’une forme de harcèlement contre l’idée que nous nous faisons de la démocratie. Le FN a bénéficié de 26% du temps de parole sur l’ensemble des huit chaînes de télévision comptabilisées par le CSA. Un véritable scandale qui contredit la loi et toutes les règles dites d’égalités représentatives. À climat pourri, méthodes pourries. La vraie question serait plutôt la suivante désormais : à force de poser ses pas sur le tapis rouge, Marine Le Pen et ses affidés parviendront-ils, à terme, à briser le plafond de verre politique et sociologique sur lequel ils buttent depuis le milieu des années 1990? Posée autreme: sommes-nous réellement sortis du diagnostic brutalement verbalisé un certain soir du 21 avril 2002, quand un pan entier de la Ve République et de son cœur social s’est effondré? L’interrogation se pose avec d’autant plus d’intérêt – donc d’inquiétudes – qu’il ne faudrait pas oublier que nous ne sommes plus dans l’avant-2012, quand la France était encore atteinte dans ses fondements les plus nobles par le sarkozysme, qui conjuguait les confusions idéologiques ultradroitières à tous les temps en flirtant avec les syllogismes maurrassiens et vichystes, au plus grand bonheur de la famille Le Pen, qui pouvait ainsi, en toute impunité, revendiquer la paternité de dérives accréditées par la droite «traditionnelle». Comme à Villeneuve-Saint-Georges, la porosité FN-UMP n’est plus à démontrer…
Depuis 2012, donc, la France a vécu une alternance. Et c’est bien le problème. Dans un contexte de crise sociale et de mondialisation aveugle, qui écrase les souverainetés nationales, ce changement ne s’est soldé pour l’instant que par des promesses trahies, des espoirs déçus à gauche et une atomisation sociale encore plus forte au fil des mois, qui poussent au dégoût et à l’abstention. Pour toute réponse, on nous propose encore le «front républicain», mêlant droite et gauche dans un magma informe, sans principe et sans perspective politique. L’histoire nous a enseigné un invariant: quand l’extrême droite se met à parler de social, le danger lui aussi devient extrême. François Hollande et ses ministres, qui se comportent avec une arrogance mortifère contre le peuple de gauche, ont-ils oublié que ce qui ne sort pas socialement sort politiquement, un jour ou l’autre?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 26 mars 2014.]
2 commentaires:
Magnifique démonstration !!!
Magnifique démonstration !!!
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