Les grandes heures de troubles incitent parfois à de grands moments de réflexion sur notre époque. À chaque jour ou presque son affaire d’écoute(s) concernant l’ex-chef de l’État, et nous nous disons que, décidément, la France n’en a pas fini d’essayer de tourner la page de la Sarkozie dont certains rêveraient un bis repetita. Qu’on le veuille ou non, les malins, les coquins et les cyniques n’ont pas quitté la scène, ils aspirent toujours, comme au temps béni du pouvoir suprême, à l’impunité absolue et à l’affranchissement des règles de droit. Mis sur écoute par la justice depuis des mois, Nicolas Sarkozy serait maintenant suspecté de trafic d’influence. Bettencourt, Karachi, Tapie, Kadhafi, sondages de l’Élysée, etc.: voilà une affaire de plus, symbole d’un homme en bande organisée, rattrapé par ses propres modes de fonctionnement. Comme si nous étions en permanence ramenés en arrière.
Jamais un système présidentiel – clanique et vulgaire – n’aura été cerné de si près par des juges anticorruption. Conseillers, collaborateurs, ministres, amis, magistrats, grands flics, hommes d’affaires et désormais avocat, toute la garde rapprochée, de près ou de loin, a eu affaire à la justice et à la police ces deux dernières années. Ce feuilleton Sarkozy pourrait avoir l’apparence d’un paradoxe ; il est au contraire un symptôme. Ou bien nous croyons qu’il ne s’agit là que de la mauvaise écume des puissants ; ou bien nous pensons que ces affaires à répétition nous disent quelque chose de l’état de nos institutions et de la formation économico-idéologique de nos « élites », témoin d’une sale époque. D’ailleurs, pourquoi nous sentons-nous si concernés? C’est assez simple: si la vie des Français avait vraiment changé depuis un certain soir de mai 2012, la question d’un retour de la Sarkozie, avec son Bonaparte à sa tête, ne se poserait même pas...
En ces temps d’hyper ou d’ego-présidence, une conclusion s’impose: en abîmant «la» politique, la Sarkozie a abîmé la République et l’espoir citoyen, jadis mêlés. Les bonnes âmes de la gauche bobo sociétalisée feraient bien de ne pas en rire. Car l’affaire est aussi et d’abord politique, avec une toile de fond économique et sociale épouvantable sans laquelle nous ne comprendrions pas l’ampleur de la crise actuelle et le ressentiment des citoyens à l’égard de l’action publique. Gagner une élection? Oui bien sûr. Mais préparer un autre à-venir, c’est aussi engager (et non pas tirer) les leçons du passé. Le sarkozisme était à la fois une perversion de nos institutions et son illustration éclatante, l’un s’étant nourri de l’autre. Preuve que «la République!» chantée et louée du matin au soir ne prémunit en rien des dérives quasi monarchiques. La tentation bonapartiste, camouflée derrière les ors républicains et même démocratiquement compatible avec le monde-marchand, est une vieille histoire française...
Pour en finir avec l’oligarchie des puissants qui ont mis la main sur «la» politique, il aurait été mieux, il serait mieux, de changer de République. Vous verrez que cette idée, cette exigence plutôt, resurgira dans le débat public plus vite peut-être qu’on ne l’imagine. L’urgence reste d’inventer un autre régime de gouvernance qui appréhenderait la société comme une totalité et lui proposerait un destin, un vrai, qui ne soit pas seulement une promesse de survie au milieu de la jungle du capitalisme et de la finance. À ce propos. Depuis combien de temps avons-nous le sentiment de ne plus être maîtres de notre destin, soumis que nous sommes, par la droite et les sociaux-libéraux, à un corpus idéologique commun, qui s’accorde si bien avec les cadres institutionnels actuels?
[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 10 mars 2014.]
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