vendredi 19 juillet 2013

Tour : Riblon et Froome les mettent en pièces

Christophe Riblon (AG2R) remporte l’étape prestigieuse de la double ascension de l’Alpe d’Huez. C’est la première victoire française cette année. Christopher Froome reprend encore du temps à Contador et Kreuziger. Quintana grimpe sur le podium.

Depuis l'Alpe-d’Huez (Isère).
L'Alpe en Sky.
Une pièce de théâtre à l’issue improbable, quelques heures à peine arrachées à notre ordinaire. Acte I, scène I. Sur les pentes de l’Alpe d’Huez, ainsi, se rejoue la mélancolie historique autant que géographique d’une francité insolente qui condescend toujours une fois l’an, forte de l’exemplarité de ses rites et coutumes, à s’en aller honorer son Peuple d’ici ou d’ailleurs – venu en masse au dessus de Bourg-d’Oisans. Assises sur leurs pliants, dressées sur les talus ou agrippées aux bastingages, bruyantes et parfois à la limite de la régularité pour laisser passer les coureurs, les joyeuses cohortes racontaient encore la chronique d’une France plurielle et ouverte. C’était une foule considérable dans l’Alpe – évidemment pas le million de personnes annoncées ça et là! –, mais l’un des plus beaux crus vus ici par le chronicoeur. Emotion.


Scène II. A l’avant de la course, entre Gap et l’Alpe-d’Huez (172,5 km), la traditionnelle échappée entamait la première ascension de l’Alpe, après avoir digérée trois côtes placées en amont. Parmi nos courageux, trois Français (Chavanel, Jeannesson, Riblon). Près de huit minutes d’avance sur le groupe maillot jaune, avec l’Américain Van Garderen en poisson-pilote. Derrière, pas grand-chose à signaler, sinon une phase d’observation derrière les équipiers en Sky, à quatre pour protéger leur leader, Christopher Froome. Entracte.
 
Acte II, scène I. Nous y voilà donc, dans cette fameuse et désormais célèbre descente du col de Sarenne, tant redouté au point de susciter quelques polémiques sur son choix. Placée entre les deux ascensions de l’Alpe, cette pente vertigineuse, inédite sur le Tour, offrait le cadre cabossé et technique dont pouvait rêver tous les casse-cous. Avant le passage du Tour, d’ailleurs une réfection totale de cette route en serpentin avait été évoquée, mais les associations locales de défense de l’environnement s’y opposèrent si fermement que les autorités y renoncèrent. D’où les interrogations: fallait-il, oui ou non, infliger semblable asphalte défoncé sous les roues du peloton et dans un pourcentage impressionnant à dévaler, qui plus est? Dans leur volonté d’innovation, les organisateurs de la Grande Boucle avaient tenu bon. Tant mieux. Le spectacle fut à la hauteur de nos peurs. Suspense.

Scène II. On aurait pu légitimement croire que le vide, omniprésent au bord de cette chaussée étroite et dépourvue du moindre parapet, tétaniserait nos héros. Ce ne fut pas vraiment le cas. Certains, pour lesquels il s’agit bien d’une ivresse, d’une drogue, s’y jetèrent à corps perdus et à fendre l’âme, sans trop regarder le précipice sur leur droite. Dans Sarenne, le manque d’adhérence était le principal ennemi des craintifs, qui plongeaient temporairement dans le doute et l’isolement. Comme prévu, Alberto Contador (Saxo) tenta le coup de force dans la pente avalée à tombeau ouvert, flanqué de son compère Roman Kreuziger. Triste bilan. Une vingtaine de secondes d’avance sur le groupe maillot jaune. Avant de rentrer dans le rang! Drame.

Acte III, scène I. Retour dans l’Alpe, définitivement cette fois pour une montée sèche. Place aux grimpeurs et aux costauds. Ceux qui oublient les calculs, se livrent sans réserve et s’échafaudent sur leurs propres croyances. Dès les premiers kilomètres, exit Bauke Mollema et Laurens Ten Dam (Belkin). Puis Chris Froome, qui éprouvait sans doute l’impatience des limites, entra lui-même en action. Il porta une attaque et, avec son lieutenant Richie Porte, emmena le Colombien Nairo Quintana (Movistar) – ce dernier en profita pour s’éclipser vers les cimes. La salve de Froome fut mortelle pour Contador et Kreuziger, lâchés à dix kilomètres du sommet. L’Anglais nous composa alors son meilleur rôle : l’homme victime de fringale et à la limite de la rupture, capable néanmoins de reprendre près d’une minute à son dauphin. Ne plaisantons pas. Au général, le maillot jaune dispose désormais de 5'11" d'avance sur Contador et de 5’32’’ sur Quintana, qui se hisse sur le podium. Applaudissements.
Christophe Riblon.
Scène II. En tête de la course, deux rescapés de l’échappée (depuis le 23e km) se disputèrent une parcelle de gloire. A deux bornes de la ligne, Christophe Riblon (AG2R) déposa l’Américain Van Garderen (BMC) et s’en alla quérir la première victoire d’étape du Tour pour un Français cette année. «J’ai du mal à y croire, s’enthousiasma le vainqueur, c’est un triomphe collectif et c’est la meilleure des manières pour passer un petit message à Jean-Christophe Peraud.» A 32 ans, Riblon succède à Pierre Rolland, dernier vainqueur à l’Alpe, et glane la deuxième victoire d’étape de sa carrière, trois ans après celle d’Ax-3 Domaines. Salve.

Epilogue. La Sky a annoncé qu’elle communiquerait les données chiffrées des performances de Froome à l’Agence mondiale antidopage. Et l’UCI a procédé à un contrôle inopiné de tous les vélos utilisés hier. Rideau.
 
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 19 juillet 2013.]

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