vendredi 27 mai 2011

Alternative(s) : deux livres pour contester notre époque...

Dandysme. D’abord? «Le poids d’un monde sur la poitrine.» Ensuite? «Dans l’histoire, les restaurations sont toujours des affaissements : plus rien ne va droit ; les dindons nihilistes tiennent la rampe et démolissent les colonnes vertébrales.» Et puis? «“Ici Londres : Les Français parlent aux Français.’’ Ce n’est pas qu’une métaphore bien sûr: ce n’est qu’un soulèvement de l’esprit.» Enfin? «Pour la défense du style, de la forme, de la tenue, de la droiture, de la dignité, de l’élégance, (...), ce bouquet de fleurs des champs au printemps, qui dessine le tableau du “ pur génie français”.» En publiant Éloge de la vulgarité (éditions du Rocher), Claude Cabanes, ancien directeur de la rédaction et toujours éditorialiste de l’Humanité, n’a pas décidé par hasard de se placer sous la tutelle de Coco Chanel, elle qui définissait ainsi son travail: «Certains croient que le luxe est le contraire de la pauvreté, alors que c’est le contraire de la vulgarité.» Claude Cabanes est comme nous. Énervé par l’air (pestilentiel) du temps. Révolté par les conditions de domination plus puissantes que jamais. Atterré par l’orgiaque et obscène spectacle de ceux qui nous représentent par les sommets, comme pouvait l’être Victor Hugo, en son temps, lorsqu’il apostrophait un quarteron d’adversaires politiques en ces termes : «J’observe le néant en ces crétins augustes.» Lassé aussi par cette influence crasse de l’esprit du Fouquet’s, histoire de ne jamais oublier qu’un des personnages de cette odieuse fête avait lancé dans le brouhaha de la victoire de Nicoléon dans le fameux restaurant bling-bling des Champs-Élysées: «Ce ne sont pas les enculés qui manquent, c’est l’argent.» Ou encore Jean-Claude Darmon, affairiste du football et présent ce soir-là lui aussi, qui affirmait sans se cacher: «Je gagne un million par jour, je n’ai pas le temps d’être généreux.» Claude Cabanes, en pamphlétaire hors pair, exprime sa désolation que «la fête du luxe» soit finie et qu’un infâme théâtre puisse reprendre «sous les chapiteaux des vulgarités». Ainsi demande-t-il: «Et si le plus puissant missile contre la vulgarité, c’était la vérité?» Revendiquant un dandysme non de tradition mais d’excellence, à la fois intellectuel et don-quichottesque, il conclut par Baudelaire : «Le dandysme est le dernier éclat d’héroïsme dans les décadences.» Qui dit mieux?

Combat. «Je suis allé partout dans le pays. Tous posent la même question : où allons-nous?» La citation de John Steinbeck (les Raisins de la colère) trône en ouverture du livre de Gérard Mordillat et de Bertrand Rothé, Il n’y a pas d’alternative (Seuil). Ce titre est la réplique exacte d’une phrase célèbre de Margaret Thatcher, ressassée et bêlée par différentes personnalités politiques, qui, depuis trente ans, nous abreuvent de la même rhétorique du renoncement. «Il n’y a pas d’alternative à la pause» (Delors). «Il n’y a pas d’alternative au plan de rigueur» (Mitterrand). «Il n’y a pas d’alternative aux privatisations» (Chirac). «Il n’y a pas d’alternative aux Restos du cœur» (le Conseil d’État, qui les reconnaît d’utilité publique). «Il n’y a pas d’alternative à payer les jeunes en dessous du smic» (Balladur). «Il n’y a pas d’alternative à la baisse de la fiscalité des stock-options» (DSK). «Il n’y a pas d’alternative à la baisse de la fiscalité des entreprises» (Fabius, succédant à DSK). «Il n’y a pas d’alternative à la disparition de l’entreprise Moulinex» (Pierre Blayau, PDG de l’entreprise qui la quitte avec 2 millions d’euros de prime). Longue liste… Dans cet essai vif et mordant, véritable réponse à la fondation Terra Nova et à ses tentatives de dés-ouvriériser la gauche, l’écrivain Mordillat et l’économiste Rothé partent sur les traces de la plus vaste entreprise de désidéologisation impulsée par les classes dominantes, pour lesquels «la mise en place de l’État-providence est un crime». Même en France? Les auteurs demandent: «Comment le village gaulois insoumis a-t-il pu devenir une province de l’empire néo-libéral ?» Étape par étape, ils montrent comment, de la Fondation Saint-Simon aux sphères de la gauche dite «moderne», l’accommodement au capitalisme libéral a été la norme imposée à tous. Ils écrivent: «Au rythme des "Je crois qu’on va dans le mur ” à “ Il n’y a pas d’autres moyens que de…” de Michel Rocard, il ne reste plus à la gauche que la fête, la lutte contre le sida et l’antiracisme.» Ou encore: «Une page noire de notre histoire est tournée. Le Nouvel Obs a pris sa revanche sur l’Humanité.» On pourrait croire à un livre nostalgique ou désemparé. Eux répondent : «Penser une révolution possible en France relèverait de l’utopie, voire d’une hérésie semblable à celle qui conduisit Giordano Bruno ou Galilée au ban de la société. Pourtant l’histoire leur a donné raison.» Alors? «Ne cherchons pas plus loin l’alternative.» Un livre de combat. Pour penser le monde autrement qu’en termes de concurrence et de profit. Qui dit mieux?

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 27 mai 2011.]

(A plus tard...)

1 commentaire:

Anonyme a dit…

En effet : elles sont bien arrangeantes pour les politiques ces "alternatives impossibles"...mais l'histoire des peuples hier comme aujourd'hui le montre : évolution rime aussi avec Révolution. J'aimerais, concernant les jeunes français , qu'ils soient aussi nombreux aux rassemblements d'indignés qu'aux fêtes d'après matchs gagnés ou aux apéros géants...en matière d'histoire des peuples rien n'est impossible...PAT