mercredi 19 janvier 2011

Tunisie : le déshonneur de la diplomatie française

Quoi que nous entreprenions, de grand et de risqué, nous n’oublions jamais la grâce des compagnons sollicités, ces invisibles qui offrent 
des mots comme autant d’armes pour nos combats, défrichant par leur soutien indéfectible 
la vie aux avant-postes… À la faveur d’une révolution qui dit son nom et n’hésite pas à défier le présent, au moins une chose est sûre : les Tunisiens dans leur ensemble, et singulièrement les nouveaux dirigeants que l’on espère bientôt élus démocratiquement, après s’être libérés du joug de Ben Ali, ne sont pas près 
d’oublier l’attitude cynique des dirigeants français, qu’aucune excuse ne pourra jamais pardonner aux yeux de l’histoire… Tandis que Barack Obama saluait le «courage et la dignité» du peuple tunisien, il faut se pincer très fort pour relire plusieurs jours après le communiqué officiel de l’Élysée : «La France prend acte de la transition constitutionnelle annoncée…» Il y a de quoi avoir honte de cette diplomatie des copains et des coquins !

La polémique gronde si fort que de nombreuses voix ont réclamé, hier, la démission de la ministre des Affaires étrangères. Mardi dernier, en effet, Michèle Alliot-Marie était tellement aveuglée par sa croyance d’un Ben Ali éternel qu’elle osa énumérer des offres de services à son régime, proposant que «le savoir-faire de nos forces de sécurité, qui est reconnu dans le monde entier, permette de régler des situations sécuritaires de ce type». La répression s’abattait alors sur les Tunisiens, frappés dans leur chair… et la France de Sarkozy ne trouvait rien de mieux à proposer à ce peuple brisant ses chaînes que d’avancer sur le chemin de l’«apaisement» et du «dialogue» (dixit) avec la dictature… Outre que ces paroles heurtent toute sensibilité authentiquement républicaine, il s’agit surtout d’une entorse au préambule de la Constitution de 1946, selon lequel la République française «n’emploiera jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple». Mme Alliot-Marie devrait en tirer toutes les conséquences.

Ceux qui servent la diplomatie française, marquée par une complaisante tradition à l’égard de la dictature tunisienne, ont toujours montré 
leur vrai visage… Hier, après plusieurs jours d’indignités, le conseiller spécial du Palais, Henri Guaino, gêné 
aux entournures, est venu narrer la prudente et peu crédible autocritique du pouvoir. Les mots utilisés sont surréalistes : «Qu’il y ait pu y avoir des maladresses ou des incompréhensions, après tout, cela est possible.» Sans parler d’Alain Juppé, reconnaissant que lui et ses amis avaient «sous-estimé la situation». Et puis c’est tout ? On croit rêver… Ne sont-ils pas beaux, tous ces intellocrates qui tournent casaque et tentent d’assumer un lâchage aussi brutal que leur soutien fut total ! Le long silence complice avec Ben Ali, de même que les belles affaires réalisées entre bons amis laisseront des traces… Combien de personnalités politiques, économiques, journalistiques, universitaires et autres ont été régulièrement «invitées» (pour le dire pudiquement) par le régime tunisien dans les palaces de Djerba ou de Tunis, pour, ensuite, prêcher la bonne parole de Bel Ali ? Surtout, qu’ils n’aient pas le toupet aujourd’hui encore de nous donner des leçons de géopolitique !

Et pendant ce temps-là ? L’ex-dictateur Jean-Claude Duvalier est rentré en Haïti, après vingt-cinq ans d’exil paisible en France. Notre diplomatie, qui 
a favorisé ce retour, n’en est plus à un déshonneur près…

[EDITORIAL publié dans l'Humanité du 18 janvier 2011.]
(A plus tard...)

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Très bonne initiative de l'UGTT. On ne peut en effet être à la fois en dehors et dedans dans de telles circonstances et entrer dans un gouvernement, fût-il de transition et technique, aux côtés de ministres du régime déchu, c'est se couper les bras pour agir : rester au contact des travailleurs et lutter de l'extérieur pour une voie réellement démocratique, c'est garder sa crédibilité et son autonomie. A la limite, ce serait un peu comme si, à la Libération, des Résistants avaient côtoyé d'anciens ministres de Pétain dans le GPRF.

La Tunisie, comme tous les pays dont le peuple se libère d'une dictature, a besoin d'une véritable Constituante, pas d'un replâtrage qui, au mieux, aboutira à une gestion social-démocrate du pays qui ménagera le loup capitaliste et néocolonialiste en tentant d'apporter un peu d'herbe fraîche à la chèvre opprimée. Et en ce cas comme en tout autre, l'opposition réelle aura également besoin de toute son autonomie, de tout sa liberté d'action et de tous ses bras pour que la voix des travailleurs soit réellement entendue, à l'intérieur comme à l'extérieur des frontières.

Anonyme a dit…

Le "20 heures" de Poujadasse en direct de Tunisie hier au soir (17 01 2011) s'apparente à une opération de désinformation en direction des Français(es) mais, à mon avis, avant toutes choses en direction des Tunisiens eux-mêmes.

A aucun moment le nain du service public de l'audiovisuel Français n'a prononcé le mot de dictateur mais des "présidents" en veux-tu en voilà à la pelle. C'était pitoyable et révoltant.

Ils (Poujadasse et sa fieffée équipe) se croient autorisés d'exporter ses "maîtres en communication" sur le sol même des Tunisiens. Honte à ces journaleux d'oser imposer leur pourriture dans l'art de désinformer les peuples.

J'espère que le peuple Tunisien ne sera pas dupe et qu'il va virer le triste et actuel "gouvernement" transitoire.

Anonyme a dit…

La mécanique est bien huilée : comment ne pas céder tout en faisant croire qu'"on" cède devant le peuple ?
Tout simple un convoque les électeurs pour élire non pas un parlement représentatif des forces sociales qui ont abattu la dictature mais un président qui occupera les mêmes fonctions au sein d'institution qui ont "encadré" la dictature. (Avez-vous remarqué que parmi les résidents français à Tunisie-hors touristes- l'immense majorité reste sur place et se réjouit. Hommes femmes e enfants à la limite d'une situation révolutionnaire et ses heurts, circulent normalement parmi les tunisiens mais que 2 à 3 000 ont quitté le pays à brides abattues, au même rythme que les Ben Ali-Traboulsi, parfois dans les mêmes bateaux et avions ? Indicatif non ?)
Le régime présidentiel qui est la planche de salut du capital est pérennisé. Les actionnaires peuvent respirer et le prix du pain de l'huile ou du sucre s'envoler au nom de la mondialisation des échanges.
C'est la méthode, le syndrome, Vème république : c'est l'élection du chef qui exigera une majorité à sa main sinon le chaos. C'est pour 2011 de l'autre coté de la méditerrané le piège de 2012 ici en France.
Les tunisiens risques de devoir voter pour dire qui ils veulent chasser et au nom de cela de subir qui ils ne veulent pas. Au nom de la démocratie, "on" leur imposera une commission internationale de contrôle aussi neutre qu'un conseil de la banque mondiale, façon Côte d' Ivoire, pour veiller que le futur élu est bien en cour au FMI, à Bruxelles à défaut de rôle de Paris un peu trop compromis.
Au nom de la lutte contre un islamisme qu'ils ont porté à bout de bras durant un demi-siècle pour contrer les luttes d'émancipation et qui les sert, "on" leur demandera de ne pas être trop exigeants en matière de laïcité et de droit des citoyennes et des citoyens.
Les grandes entreprises capitalistes françaises qui ont délocalisé en Tunisie, les banques qui les ont accompagnées seront rassurée et le peuple tunisien s'il n'y met pas vite le holà aura été grugé.
Les Tunisiennes et les tunisiens ont plus que jamais besoin de rester vigilant pour conforter leur victoire et ne pas s'en laisser dessaisir. Les conseilleurs tout azimut dont ceux de l'internationale socialiste sont à la manœuvre. La meilleure façon de les aider à construire leur démocratie est de combattre ici l'ennemi commun et de dénoncer les manœuvres dilatoires qui nuisent à l'avenir de nos deux pays. Si nous parvenons à affaiblir, si le rapport de forces arrive à battre les fauteurs et gestionnaire de crise ici, ils perdront leur base arrière là-bas.

Anonyme a dit…

" la crainte de la contagion" entend-on dans les médias français pour lesquels la démocratie serait donc une maladie et qui semblent regretter la belle époque de la dictature policière et mafieuse qui régnait en Tunisie depuis 23 ans ! Comme l'on dit bien des observateurs, " la révolution du jasmin " représente un espoir pour les peuples arabes et à l'inverse un vrai cauchemar pour ceux qui les gouvernent . Il est vrai aussi que les manoeuvres internes et externes ont déjà commencé pour tenter de confisquer au peuple tunisien sa révolution. car Ben Ali et sa famille en fuite et partis avaient des appuis dans le pays,Sans même parler de la police politique, une bourgeoisie tunisienne qui faisait sa pelote dans l'administration , l'économie.et les médias à l'abri de la dictature entend bien aujourd'hui ne pas se laisser évincer de ses places par le mouvement populaire,même si elle doit adopter un profil bas depuis quelques jours.Espérons que la "révolution du jasmin" pourra tenir ses promesses d'un avenir démocratique , laique et progressiste pour le peuple tunisien !

Anonyme a dit…

Merci à DUCOIN pour ce commentaire pertinent: il aura été le premier, bien avant Libé et l'opportuniste Joffrin, à dire à Alliot-Marie ses quatre vérités !!!

Anonyme a dit…

Ne conviendrait-il pas d'attendre la réplique de cet évènement qui ne peut soulever que l'enthousiasme des révolutionnaires (je ne parle pas de celui à l'unisson des libéraux de gauche comme de droite) avant de parler de révolution...réussie. Se débarrasser des monarques dont la fonction est somme toute limitée est une chose. Se débarrasser d'un ordre politique dont ils sont l'incarnation en est une autre. Le plus dur se présente toujours quand l'enthousiasme est retombé. D'ici quelques jours les évènements auront quitté la Une des journaux français et on passera à autre chose.

Anonyme a dit…

Alliot-Marie a du confondre être ancienne ministre de l'intérieur de la France à son nouveau poste.
Comme quoi, la plupart des ministres qui changent de ministères ne connaissent rien à leur nouvelle affectation. Quand prendrons-nous des gens compétents ?
Quelle honte ?