vendredi 24 juin 2022

Digue(s)

La main tendue des macronistes aux lepénistes…

Désastre. Gaullistes, chiraquiens, séguinistes, transfuges du pseudo-socialisme vers les ors du pouvoir, macronistes sincères de la première heure, bref, républicains de droite comme de gauche: réveillez-vous, ils sont devenus fous! Cette semaine, pour des raisons qu’aucune raison de l’éthique politique n’expliquera ­jamais, la dernière marche de la normalisation de l’extrême droite a été allégrement franchie – piétinant au passage tous les principes qui furent, jadis, communs aux femmes et aux hommes de bonne volonté citoyenne. Actons donc la terrible réalité: la digue républicaine n’existe plus. Ni sur le terrain, du côté des électeurs ; ni dans les appareils de certains partis, jusqu’au sommet de l’État. Soyons honnêtes, jamais le bloc-noteur n’aurait imaginé devoir écrire semblable phrase un jour. Seulement voilà, à la faveur d’une élection sens dessus dessous, les faits sont têtus. Et le désastre moral considérable… La main tendue des macronistes aux lepénistes est un ­révélateur si puissant et affreux qu’elle ne se résume, hélas, pas au sentiment de peur panique qui gagne Mac Macron II en personne. Non, ce «moment» tragique pour notre démocratie symbolise, en une séquence courte de notre Histoire, la logique qui prévaut ­depuis trop longtemps.

Mensonges. Mac Macron II reste bel et bien l’homme du chaos permanent. Ce chaos durable dont il entrevoit lui-même les effets en cascade. Nous ne soulignerons jamais assez sa responsabilité dans l’essor du Rassemblement national (RN) depuis cinq ans. C’était son assurance-vie pour la réélection. Le prince-président a également joué avec le RN comme on joue avec le pire des feux, celui qu’on ne devrait jamais allumer: poussant la gauche à voter pour lui au second tour de la présidentielle afin de barrer la route à Fifille-la-voilà, mais refusant quelques semaines plus tard, aux législatives, d’appeler à voter pour la gauche unie quand celle-ci était en balance avec le RN. À force de jeter la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) et l’extrême droite dans le même sac, le monarque élu, capable de tous les mensonges, a contribué à brouiller les lignes sans imaginer que cela pourrait se retourner, aussi, contre lui. Le résultat est connu. Alors que la Nupes a réuni plus de 6 millions de voix, contre seulement 3 millions au RN, les candidats d’extrême droite ont pourtant remporté 55% des duels avec la gauche. Au passage, notons qu’il n’aura manqué au total que 16.000 voix dans le pays, entre les diverses circonscriptions, pour que la Nupes obtienne une majorité relative devant les macronistes. Effrayante mise en abîme.

République. Nous y voilà, à ce point de non-retour à la fois symbolique et concret. Puisque le pouvoir ne peut gouverner faute de LR, et pour ne pas dépendre du seul bon vouloir de la droite, la Macronie cherche du côté du Rassemblement national des accointances utiles. Après avoir siphonné durant cinq ans une grande partie de la gauche libérale, Mac Macron II a allumé l’autre étage de la fusée, vampirisant toute candidature à droite, ultra-droitisant tous ses choix, et, bien sûr, choisissant son adversaire, Fifille-la-voilà, quitte à lui baliser la voie, lui dresser un pont-levis. Au hasard d’un faux mouvement électoral, et désormais sans majorité absolue, les masques de la Macronie tombent. Ces beaux donneurs de leçons viennent de prouver qu’ils préfèrent les candidats du Rassemblement national quand l’occasion s’en présente. Cela ne vous rappelle rien? «Plutôt Hitler que le Front populaire», disaient certains de leurs aïeux durant l’étrange défaite. Le roi sans tête a perdu dans la ­bataille l’esprit de la France, celle des Lumières et de la grande Révolution. Rien d’étonnant en vérité. Sauf que, cette fois, la démocratie se trouve en péril, sinon la République elle-même. 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 24 juin 2022.]

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