mercredi 11 décembre 2019

Distance(s)

L’équation impossible de Mac Macron…

Flou Entre autres qualités, certains philosophes contemporains nous enseignent non le « mépris de l’événement » (parfois utile), mais bien la mise à distance autorisant une réflexion synthétique et globale en tant qu’exigence. Comme le suggérait Régis Debray, sous forme interrogative, dans Rêverie de gauche (Flammarion, 2012): «La gauche, plus soucieuse, en principe, d’expliquer que d’émouvoir, accorde plus d’importance à la cause qu’à la trace, à la structure qu’à l’événement?» Et il insistait: «Notre société sacrifie l’important à l’urgent et l’ensemble au détail.» Avec la contre-réforme des retraites proposée par Mac Macron, l’exercice consistant à prendre du champ conduit irrévocablement à se poser une question simple, qui hante bien des têtes: comment Emmanuel Macron en est-il arrivé là, au point de se voir tancer par Laurent Berger – «La ligne rouge est franchie» – et même quelques-uns de ses principaux soutiens de la première heure? Retenons que les économistes (tous des libéraux) qui avaient dessiné les contours de son projet concernant les retraites, avant son élection en 2017, viennent d’écrire dans le Monde: «Pour réussir une réforme aussi ambitieuse, il faut de la clarté sur sa finalité, sur ses paramètres, sur la gouvernance future du système et, enfin, sur les conditions de la convergence des différents régimes existants. Cette clarté a jusqu’ici manquéSelon certaines confidences recueillies par le bloc-noteur, l’un de ces derniers évoque en coulisse «une trahison de l’exécutif», arguant du fait que, au départ, «ce projet était une véritable cathédrale intellectuelle qui visait à renouer avec l’esprit du Conseil national de la Résistance». On s’amusera de la référence audacieuse au CNR venant d’économistes mandatés pour casser notre modèle social, mais admettons néanmoins que la critique ne vient pas de nulle part. Surtout quand elle s’ajoute cet argument: «Quand c’est flou, on donne l’impression qu’il y a un loup, et derrière ce loup, qu’il y aura beaucoup de perdants. Dans ce pays, on ne joue pas avec les retraites…»

Gauche Ainsi donc, comment une réforme systémique des retraites censée rassurer les jeunes générations sur le financement de leur future retraite est-elle devenue une telle machine à fabriquer de la colère, des mobilisations et des grèves monstres? Précisons: même dans le camp de la gauche dite «réformiste». Et c’est là que l’affaire devient intéressante. Tout le monde l’a sans doute oublié, mais un système identique figurait déjà dans le programme du candidat aux primaires socialistes en 2011, Manuel Valls en personne. Celui-ci prônait une «retraite par points prenant en compte la pénibilité, l’espérance de vie et les inégalités hommes-femmes». Huit ans plus tard, non seulement tous les syndicats clament leur désaccord après les annonces du premier sinistre, mais toute la gauche sans exception se trouve aux côtés des manifestants: Parti communiste, Parti socialiste, Europe Écologie-les Verts, France insoumise, Génération-s, etc. Dans le Monde, une journaliste soulignait, comme pour s’en moquer: « Aubry-CGT, même combat!», référence aux propos de la maire de Lille qui fustigeait le gouvernement de vouloir «s’attaquer au pas de charge, en accroissant les inégalités, à tout ce qui fonde notre pacte social». À l’Élysée, quelques conseillers mettent en garde assez crûment: «Plus nous affirmons viser l’équité et l’universalité, plus la liste des victimes s’allonge, qui exigent réparation avant même d’être éventuellement atteintes…» Le 28 novembre dernier, le bloc-noteur écrivait qu’il y avait un côté trompe-la-mort chez Mac Macron, quelque chose de l’ordre de l’irrationnel, comme s’il nous toisait en criant: «Même pas peur!» Sauf que… le voilà cette fois devant une équation impossible. S’il cède, il se dédie. S’il s’obstine, il risque désormais une grève générale d’une ampleur peut-être historique et une fin d’année de paralysie du pays. Au moins, n’attendons-nous rien de sa part côté sentiment ardent, aucune idée précise qui puisse inquiéter les privilégiés… 

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 13 décembre 2019.]

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