Ce moment qui ne nous
grandit pas…
Fractures. Dans ce climat pourri de tensions, de haines et de fractures incommensurables qui attisent toutes les pulsions maladives et ignobles les plus enfouies dans les tréfonds de la France rance, nous avons l’étrange impression de traverser un moment qui, décidément, ne nous grandit pas. Comme si l’organisation de la médiocrité préparait le règne de réflexes obscènes, honnissant l’idée même d’intérêt général et de devoir supérieur. Le rythme de l’immonde s’accélère, son débit s’étire… pendant que nos souffles exténués syncopent nos propos. Tel ne devrait pas être le cas. En plein débat surréaliste et totalement inapproprié sur «l’immigration», voulu et théorisé par Mac Macron en personne, voilà que le terrorisme islamiste s’abat une fois encore sur la nation par la cause d’un homme, converti à l’islam, qui a donc tué quatre fonctionnaires de la préfecture de police de Paris, supposément l’un des lieux les mieux protégés de l’appareil d’État. Un acte fanatique de plus – quelle qu’en soit la genèse – et tout s’embrouille. Le pire des scénarios, en somme, qui éloigne quasi mécaniquement de la bulle d’émotion médiatique et politique toute possibilité d’intelligence des circonstances, sans parler de «raison», ce qui, vous en conviendrez, n’est plus trop dans l’air du temps. Guillaume Goubert résumait bien la situation, cette semaine, dans la Croix: «C’est un moment très difficile pour les musulmans de France. Attaqués de l’extérieur par des polémistes d’extrême droite, ils se trouvent, en quelque sorte, attaqués aussi de l’intérieur.» Séquence mortifère. Les diatribes odieuses de Zemmour (et consorts) lors de la Convention de la droite organisée par Maréchal-là-voilà (qui valent au chroniqueur du Figaro l’ouverture d’une enquête diligentée par le parquet pour «injures publiques» et «provocation publique à la discrimination, la haine ou la violence») se trouvent reléguées au second rang, effacées de la mémoire présente, alors que les continuums de la haine, c’est bien connu, se nourrissent les uns les autres…
Cursus. Deux questions viennent immédiatement à l’esprit. Comment un musulman en vient-il à perpétrer des actes d’une telle barbarie au nom de sa religion? Comment un héritier de notre République, devenu croyant ou non d’ailleurs, peut-il se retourner à ce point contre elle et contrevenir à tout ce que nous sommes de plus sacré? D’où une troisième question: le problème fondamental est-il vraiment l’islam, ou plutôt ce qui alimente ses variantes fondamentalistes contre lesquelles nous devons être impitoyables? La France de la République, dans le temps long de l’Histoire, porte des valeurs, symbolise une unité et une indivisibilité, mais également un cursus culturel puissant, ouvert et vivant qui tisse son universalité – que le monde nous enviait jadis. Souvent, nos concitoyens se sont dressés dans le refus de la fracturation de la société. Dès lors, toute parole publique devrait être choisie afin de créer les conditions de la résilience et s’adresser à l’intelligence du peuple. Nous en sommes loin. Ne le cachons pas: sans éthique collective de responsabilité, la société française peut désormais basculer à tout moment. Le bloc-noteur espère se tromper, mais il sent confusément l’extrême fragilité du pacte républicain – du moins ce qu’il en reste, sachant que c’est aussi l’injustice d’une politique qui encourage les tensions jusqu’au risque d’explosion (souhaitons-la «sociale»). Vous allez voir que, à tous les coups, certains oseront remettre sur la table le cadre de la loi de 1905, alors même que la laïcité n’a pas à se durcir mais à s’affirmer, à s’appliquer sereinement, sagement et parfois fermement, dans le respect mutuel, en stoppant les amalgames, les suspicions et les stéréotypes qui enflamment les antagonismes identitaires et renforcent les adversaires de la République. Petit rappel aux oublieux: c’est l’État qu’il faut rendre égalitaire et laïque, car c’est son existence même qui donne corps à ces mots…
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 11 octobre 2019.]
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