François. «Si quelqu’un a la réponse à toutes les questions, c’est la preuve que Dieu n’est pas avec lui, que c’est un faux prophète qui utilise la religion à son profit. Les grands guides du peuple de Dieu (…) ont toujours laissé un espace au doute.» Qui n’a pas lu attentivement le long entretien accordé la semaine dernière par le pape François Ier aux revues intellectuelles jésuites européennes et américaines ne peut comprendre – donc évaluer à sa juste mesure – la portée théorique des mots utilisés et leur probable répercussion. L’échange fleuve que le pape argentin a accordé à son confrère jésuite (les temps changent au Vatican!), Antonio Spadaro, survient six mois après son élection. «Six mois déjà», diraient certains, comme pris par l’incroyable tourbillon insufflé par le successeur de Benoît XVI. «Six mois seulement», affirmeraient d’autres, avec l’impression à la fois trompeuse et réelle qu’un vent nouveau souffle sur l’Église. François lui-même ne le cache pas: «La première réforme doit être celle de la manière d’être.» Et il insiste: «Nombreux sont ceux qui pensent que les changements et les réformes peuvent advenir dans un temps bref. Je crois au contraire qu’il y a toujours besoin de temps pour poser les bases d’un changement vrai et efficace. Ce temps est celui du discernement. Parfois, au contraire, le discernement demande de faire tout de suite ce que l’on pensait faire plus tard. C’est ce qui m’est arrivé ces derniers mois.» Sous l’aube blanche de l’évêque de Rome sommeille un dialecticien hors norme qui n’a pas fini de nous étonner. La preuve: «Je suis un pécheur. C’est la définition la plus juste… Ce n’est pas une manière de parler, un genre littéraire. Je suis un pécheur. Si, je peux peut-être dire que je suis un peu rusé, que je sais manœuvrer, mais il est vrai que je suis aussi un peu ingénu.»
Pagaille. Tant de choses ont été écrites sur ce pape si singulier que le bloc-noteur éprouve comme de la gêne à vouloir encore forcer les portes de la compréhension. Mais l’événement est tellement important que ce serait initiation mal placée de ne pas le porter à la connaissance de tous.
Car cet entretien nous donne des indications précises sur ses conceptions de la gouvernance, qui ne sont pas sans nous rappeler la symbolique du choix de son nom, inspiré de saint François d’Assise. «Le peuple est sujet, il n’y a pas d’identité pleine et entière sans appartenance à un peuple», poursuit-il, reprenant indirectement son injonction à la jeunesse lors des JMJ: «Mettez la pagaille.» Alors tout y passe. Il dit voir «l’Église comme un hôpital de campagne après une bataille», parce qu’«il est inutile de demander à un blessé grave s’il a du cholestérol»: «Nous devons soigner les blessures. Ensuite nous pouvons aborder le reste. Il faut commencer par le bas.» Puis il en vient à un point crucial: «J’ai dit que, si une personne homosexuelle est de bonne volonté et qu’elle est en recherche de Dieu, je ne suis personne pour la juger. (…) L’ingérence spirituelle dans la vie des personnes n’est pas possible. Un jour, quelqu’un m’a demandé d’une manière provocatrice si j’approuvais l’homosexualité. Je lui ai répondu avec une autre question : “Dis-moi : Dieu, quand il regarde une personne homosexuelle, en approuve-t-il l’existence avec affection ou la repousse-t-il en la condamnant?” Il faut toujours considérer la personne.» Quelle rupture, tout de même, avec les dogmes de l’ancien préfet de la congrégation pour la doctrine de la foi installé par Jean-Paul II, un certain Joseph Ratzinger… D’autant que François prolonge le concept: «Notre vie ne nous est pas donnée comme un livret d’opéra où tout est écrit ; elle consiste à marcher, cheminer, agir, chercher, voir. (…) Si le chrétien est légaliste ou cherche la restauration, s’il veut que tout soit clair et sûr, alors il ne trouvera rien. La tradition et la mémoire du passé doivent nous aider à avoir le courage d’ouvrir de nouveaux espaces. Celui qui ne cherche que des solutions disciplinaires, qui tend de manière exagérée à la “sûreté” doctrinale, qui cherche obstinément à récupérer le passé perdu, celui-là a une vision statique et non évolutive.»
Vatican II. Pour combattre le conservatisme de l’Église, François ambitionne même de retrouver le chemin de Vatican II, en tant que «lecture de la culture contemporaine» qui «produit un mouvement de rénovation qui vient simplement de l’Évangile lui-même». Le concile inspiré par Jean XXIII reste à ses yeux «irréversible», car, ce qui est «préoccupant, c’est le risque d’idéologisation du vetus ordo (la liturgie – NDLR), son instrumentalisation». François d’Assise disait: «Commence par faire le nécessaire, puis fait ce qu’il est possible de faire, et tu réaliseras l’impossible sans t’en apercevoir.» Allez, entre nous: quel spécialiste de la curie aurait pu prévoir une telle r-évolution, déjà dans les mots?
[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 27 septembre 2013.]
1 commentaire:
Il se passe en effet quelque chose à Rome. Et sans doute, JED a raison, quelque chose de très important. Attendons quand même de voir. Mais je suis également très impressionné par les mots du pape, qui rompt littéralement avec des décennies d'obscurantisme. C'est quand même bon signe.
Merci JED pour cette chronique.
PK
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