lundi 8 novembre 2010

Âge(s) : quand un spectre hante la France...

Particules. Avez-vous déjà réfléchi à ceci. Lorsque vous êtes connecté au web, vous lisez. Même beaucoup. Mais de quelle lecture s’agit-il? Est-elle intensive? Passive? Totalement libre qu’elle dissuade toute aridité? Est-ce celle entendue comme exercice spirituel préparant à la méditation ou à la connaissance, telle que Sénèque ou d’autres ont pu la décrire pour que ces textes circulent «dans notre intelligence, non dans notre mémoire». Avez-vous l’impression, parfois, que votre cerveau bricole dans les limbes de la médiasphère? «Pensez»-vous aussi intensément qu’avant? Avec le même «esprit»? La même intention? Comment faites-vous face aux particules qui s’écoulent à la vitesse de l’instantanéité? Transmettre, selon Régis Debray, «c’est faire traverser le temps à une information, d’hier à demain». Communiquer, «c’est lui faire traverser l’espace d’ici à là-bas». Nuance.
Lèche-bottes. C’était à l’heure de l’apéro – l’instant enfin retrouvé de délaisser l’ordi surchauffé. Dehors, un épais brouillard enfouissait l’horizon, tandis qu’au loin le long murmure de la ville bruissait de son écho douloureux, nous enveloppant d’une empreinte incertaine. La télé crachotait l’une de ces émissions savantes où conversent sur tous sujets quelques éditocrates germanopratins. Il y était question de «la fin du conflit social». «Victoire totale de Sarkozy», entendit-on. «La fièvre est terminée et la France entre enfin dans un nouveau modèle social», affirma-t-on. Quelqu’un demanda : «Restera-t-il quand même de l’amertume chez les ‘’vaincus’’ ?», présupposant qu’il y ait déjà vainqueurs et vaincus. «Non», répondit un autre, sûr de lui. L’un d’eux, riant aux éclats, annonça qu’il allait citer deux fois Tocqueville, le maître à penser de tous les libéraux de la haute. La sentence tomba. Primo: «L’esclave est un serviteur qui ne discute point et se soumet à tout sans murmure. Quelquefois il assassine son maître, mais il ne lui résiste jamais.» Secundo: «Les hommes ne sauraient jouir de la liberté sans l’acheter par quelques sacrifices.» Pestant devant notre petit écran, nous aurions voulu rajouter une autre citation que nos lèche-bottes de la médiacratie ne connaissent sans doute pas: «En politique, ce qu’il y a souvent de plus difficile à apprécier et à comprendre, c’est ce qui se passe sous nos yeux.» Encore Tocqueville…

Frayeur. Depuis quelques mois, un spectre hante la France. Celui de la révolte et de l’insurrection sociale. Puisqu’il ne sera pas dit que le bloc-noteur se refuse à puiser chez Tocqueville pour sonder les peurs enfouies des dominants lorsque les dominés finissent par se dresser, prenons l’exemple de la révolution de 1848. Dans ses souvenirs, celui-ci rapporte la frayeur d’un confrère député qui surprit les propos de jeunes domestiques rêvant à voix haute d’en finir avec le pouvoir des maîtres. Inutile de préciser que l’homme en question attendit prudemment que l’insurrection fût écrasée pour les congédier… Le même Tocqueville se souvient aussi d’avoir croisé, rue Saint-Honoré, une «foule d’ouvriers qui écoutaient le canon». Et il écrit : «Ces hommes étaient tous en blouse, ce qui est pour eux, comme on sait, l’habit de combat aussi bien que l’habit de travail. Ils remarquaient avec une joie à peine contenue que le bruit de la canonnade semblait se rapprocher, ce qui annonçait que l’insurrection gagnait du terrain. J’augurais déjà que toute la classe ouvrière était engagée, soit de bras, soit de cœur, dans la lutte ; cela me le confirma. L’esprit de l’insurrection circulait en effet, d’un bout à l’autre de cette vaste classe et dans chacune de ses parties, comme le sang dans un seul corps ; il remplissait les quartiers où l’on ne se battait pas, comme ceux qui servaient de théâtre au combat ; il avait pénétré dans nos maisons, autour, au-dessus, en dessous de nous. Les lieux mêmes où nous nous croyions les maîtres fourmillaient d’ennemis domestiques…»

Contradiction. Drôle d’époque. Tout communique, tout est en «lien», en «relation», tout permet de la «compréhension», bref, jamais dans l’histoire humaine le savoir n’aura été à ce point mis à la disposition du plus grand nombre, et pourtant, le malaise d’incompréhension (précisément) qui nous étreint semble s’accroître davantage, comme si une cruelle frustration, née du décalage entre les possibles et les réalités, s’imposait à nous, immanquablement. Évidente ambivalence d’une mondialisation qui accroît les échanges, les communications et les intercompréhensions entre les humains, mais qui comporte aussi un processus diabolique d’homogénéisation, de mécanisation, d’uniformisation destructeur des diversités culturelles. Ce qu’Edgar Morin, pessimiste, appelle «l’alliance de la barbarie venue du fond des âges historiques et de la barbarie anonyme et glacée venue des développements technobureaucratiques». L’univers globalisé (la gouvernance mondiale) du capitalisme roi utilise tous les recours modernes pour sa propre propagande, tandis que notre univers consumériste évolutif ressemble aux pires cauchemars qu’on pouvait imaginer. Le capitalisme sauvage tel qu’il le demeure : un monde dans lequel les hommes sont sacrifiés à la survie des choses fétichisées, érigées en idoles barbares sanguinaires qui n’hésitent pas à vouer les hommes à la misère pour perpétuer leur propre règne.

[BLOC-NOTES publié dans l'Humanité du 6 novembre 2010.]

(A plus tard...)

6 commentaires:

Anonyme a dit…

grève de la conso ! amplifions le mouvement social, mettons-le à portée de tous !
Faisons la grève de la conso dans les grandes surfaces amies du pouvoir, sauf pour les fruits, légumes, oeufs, lait, pain, vin de proximité,
grève sur l’achat des fringues chinoises, jouets chinois objets inutiles et autres tv-hi-fi-video achetons des livres chez les libraires et promenons-nous dans les parcs, à pied, à vélo, en rollers et en poussette !
redistribuons les rôles,
et consommons local loin des hypermarchés et des centres commerciaux.
On leur laisse 3 jours, aux PDG des très grosses entreprises de distribution, chiche qu’ils téléphonent au tout petit président pour obtenir un moratoire !!!
GREVE GENERALE !!!!
...faites passer, faites suivre sans modération...
Est-ce vraiment trop tard ???

Anonyme a dit…

ALORS QUE les responsables des partis institutionnels savent parfaitement que notre système de protection de santé est périmé et que notre système de retraites est condamné par la démographie, alors qu'ils n'ignorent pas que le paritarisme version 1945 n'est plus qu'une gigantesque farce, aucun d'entre eux n'ose aborder le problème sur le fond. Leurs réactions lénifiantes devant la prise de position du Medef est révélatrice de leur manque de courage politique et témoigne d'une médiocre volonté électoraliste de survivre. Dans le système actuel de protection sociale, seuls les citoyens n'ont aucun mot à dire: ils ne sont autorisés qu'à payer pour être de moins en moins remboursés. Des systèmes souples et performants, n'excluant pas la notion de concurrence, peuvent et doivent être mis sur pied en dehors de toute intervention étatique, pour permettre aux Français le libre choix de leur protection sociale, tout en assurant aux accidentés de la vie les secours que leur doit la solidarité nationale. Au moment où la classe politique se discrédite dans des jeux politiques dignes de la IVe République, la gifle que vient de lui infliger le Medef est le signe fort qu'il lui reste peu de temps pour se reprendre avant que n'éclate une crise de régime.

Anonyme a dit…

Rappelons à ceux qui semblent l'avoir oublié que la dictature est une pratique de la démocratie, en France mais aussi ailleurs, pour faire face aux époques de crise. Les Romains savaient déjà cela. Nos démocrates l'ont appliqué avec le Comité de Salut Public à l'époque de la Terreur et le général de Gaulle en a inclus le principe dans la Constitution de 1958 avec l'article 16.
Enfin, s'il ne saurait y avoir de mandat impératif en démocratie représentative, la trahison d'à peu près tout ses engagements électoraux par un dirigeant politique une fois qu'il est élu constitue bien une forfaiture. Idem pour ce qui est de la négation des résultats d'un scrutin. La démocratie, faut-il le répéter, est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. Quand soit le par soit le pour ne sont pas respectés ou, comme c'est le cas aujourd'hui, ni l'un ni l'autre, on est bien sur la pente de la tyrannie et, pour reprendre une disposition de la Constitution de 1793, oubliée dans toutes les constitutions qui ont suivi, le peuple a alors le droit et même le devoir de renverser ceux qui le dirigent y compris par les armes. Pour le moment, on se contente de battre le pavé.

Anonyme a dit…

La démocratie française a cessé d'exister en ce jour de février 2008 où les parlementaires godillots ont dit oui au traité de Lisbonne.les socialeus de mes deux n'ont pas osé dire non à ce coup d'état ils se sont abstenus c'est du pareil au même. Désavouer le vote d'un peuple par un vote partisant est une faute politique impardonnable. En conséquence nous ne sommes plus en démocratie et en plus nous sommes dans une crise institutionnelle.

Anonyme a dit…

LA GAUCHE KO DEBOUT APRES LA RETRAITE : VOILA MA CONVICTION...

Anonyme a dit…

Et c'est peut dire "ko debout"... On peut même prendre date !!!