Wiggins, dans la roue de Froome. |
Certains jours, les Pyrénées donnent à voir la nécessité de la contemplation. Contrairement à la rumeur publique qui laisserait croire que cette valeur serait devenue surannée pendant le rendez de Juillet, le chronicoeur ne laisse jamais passer son tour pour s’offrir, dans ces espaces de beauté, une place élégiaque qu’aucune manière funeste ne parvient à anéantir. Hier matin, avec un crachin pas malin et des voiles de bruines façon purée de pois, le climat se prêtait à l’ultime chance. Ambiance particulière pour cette dernière étape de montagne, entre Bagnères-de-Luchon et Peyragudes (143,5 km), slalomant entre les Hautes (Garonne et Pyrénées), à travers un théâtre sauvage sublime destiné aux audacieux du genre.
Dès le célèbre col de Menté (1re cat.), nous sentions que chaque virage se prêtait à l’inattendu. Une curieuse alchimie conditionnée par le froid et la pluie, dans les traces-sans-traces des coursiers qui se rapprochaient de l’endroit où Luis Ocana, en 1971, se fracassa sous un déluge de flotte et de boue, maculant pour jamais son beau maillot jaune (1). Ici, les couleurs prennent souvent des atours de tragédie. Et lorsque Vicenzo Nibali (Liquigas), qui grimpe aussi bien qu’il dévale, profita de cette descente détrempée pour prendre une vingtaine de secondes d’avance sur le groupe maillot jaune, un instant, nous crûmes que l’Italien pourrait renverser la journée et l’histoire avec.
Mais ce ne fut que pétard mouillé. Pourtant le natif de Messine, que l’on devinait affûté sous le cuir ces derniers jours, paraissait piqué au vif de ne pas réussir à régenter la course, alors que, cette année, il a sacrifié «son» Giro en misant tout sur la Grande Boucle. «C’est toujours un choix difficile à assumer pour un Italien, expliquait-il, mardi, lors de la journée de repos. Mais pour prétendre à une belle place sur le Tour, il n’y avait pas d’autre solution que de renoncer au Giro, je ne regrette rien…» Hier matin, Nibali ne semblait pas avoir renoncé à marquer l’épreuve de son empreinte et évoquait le scénario préétabli. «L’étape du jour est plus courte qu’hier mais bien plus piégeuse. Nous l'avons bien étudiée. L'arrivée me convient bien. Peut-être moins à Bradley Wiggins...»
Il fallut donc attendre un peu, mais, comme convenu, lorsque le profil de l’étape vira à l’élévation, l’équipe Liguigas prit résolument les commandes des opérations pour escalader les trois difficultés terminales, le port de Balès (HC, 1755 m), le col de Peyresourde et la montée vers Peyragudes (1re cat., 1605 m). Par un temps heureusement plus clément, il n’y eut plus un seul mètre de plat dans les cinquante derniers kilomètres, jusqu’à souffler la flamme rouge. Une topographie idéale pour Thomas Voeckler (Europcar), parti dans sa chevauchée de sauvegarde de son maillot à pois, sa nouvelle obsession. Qui l’eut cru ? Avant de s’éteindre en fin d’étape, le Français aura franchi, en deux jours, sept fois en tête les cols pyrénéens – soumis à sa volonté. Et que dire alors de l’Espagnol Alejandro Valverde (Movistar), de retour après une suspension de deux ans pour son implication dans «l’affaire» Puerto. Rescapé des échappés, il se contenta en solitaire d’une victoire de prestige, ne pouvant réclamer mieux, désormais, à son corps…
Vicenzo Nibali. |
Alors? Constatant la linéarité du roman quotidien qui lui est proposé, loin de toute dramaturgie, le chronicoeur continue de regarder, un rien médusé, ces deux Britanniques en Sky. Christopher Froome, Kényan blanc, enfant du colonialisme, bridé par le prince consort. Et Bradley Wiggins, incarnation du chic londonien, que les dieux du cyclisme semblent aimanter dans son élévation, malgré sa blancheur de traditionnaliste. Cette cohabitation décrit toute la grandeur désuète de la vieille Angleterre étendant brusquement son empire sur une République, celle du Tour, qui ne parvient plus à changer de régime. Les rouflaquettes de style et le flegme de l’amiral Nelson ont pris le pouvoir. Le chronicoeur a définitivement lâché la pression et rangé son tire-bouchon. Dans les effluves earl grey et ceylan, il s’est mis au mug à thé.
(1) L’Espagnol dût abandonner alors qu’il possédait une avance importante au classement général.
[ARTICLE publié dans l'Humanité du 20 juillet 2012.]
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